2022
Jan 
26

Méduser

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 18:04  

Même dans la neige
Par moins dix degrés
Réunir soixante gens
De vingt à soixante ans
Toustes blanc.hes
Comme la neige
Parlant toustes le même langage
Immaculé de mots

La danse

Cela ne sert à rien
Cela n’a pas vocation à changer quoique ce soit
Si ce n’est
Notre rapport aux autres
Notre rapport au corps
Notre rapport au temps, à l’espace et à tous les invisibles qui nous peuplent

Il y a une peau au-delà du corps physique
Qui transmet des messages
Plus subtils qu’un geste
Plus précis qu’une flèche
Qui peut prévoir, c’est-à-dire
Voir avant
Voir avant le prochain mouvement
Et s’organiser en conséquence
L’enveloppe non physique perçoit et donne des informations que les mots ne parviennent pas à exprimer
Les mots sont lents, même s’ils fusent parfois trop vite.
Ils disent “tais-toi” au lieu de “j’ai besoin de silence”
Ils disent “je t’aime” à la place de “ta présence me rassure”

La couche qui flotte, malléable, au-dessus de la peau,
Est à l’intersection du sensible et du vocable.
Elle parle
Autrement qu’avec de la pensée.
Elle parle à une part de nous à la fois plus vaste et plus intime.
Elle est le corps médusoïdal
Fait de la même membrane qui innerve le ciel constellé d’inatteignables planètes
Et qui inonde, dans le même temps, les innombrables câbles de notre corps palpable.
Et ce n’est pas une mince affaire que d’arriver à traduire en termes acceptables ce que l’immense fait passer à travers nos cellules
Ce que nous retenons des histoires qui circulent en cercle en face à face, en diagonale,
Ce que nos mouvements trahissent des profondeurs de l’être que nous incarnons maintenant.

Tout se mélange.
Mon sourire et le tien
Yeux ouverts derrière paupières fermées
Barricades du cœur derrière grands bras ouverts
Joie molle derrière lèvres exaltées
Tendresse derrière désir
Amour immense derrière insondable silence
Et tous nos je mêlés.
Les Je qui disent On
Qui disent Tu
Qui disent des choses que j’ignore
Les Nous qui rassemblent les puissances éparses que j’appelle de mes vœux
Des espoirs de Vous qui se nouent

Une ultime dispersion
Quelque chose de tout à fait spécial et d’absolument banal
Une danse
Un instant de danse qui dure
Sans qu’on sache combien de temps ni même avec qui
En sortir à la fois pleine et moins remplie
Plus légère
Additionnée de teintes neuves
Soustraite aux répétiteurs tyrans.

Si ton geste est faux, forcé, fendu par ta volonté,
La moelle gélatineuse qui ondoie à tes côtés se fera moins poreuse au rythme et à la durée
De réceptrice extratranslusensible
Elle passera à parchemin à peine movible
On pourra seulement y lire l’ensemble des traces laissées par toi tout autour.
La question est de savoir
Quelles interactions tu veux construire avec le monde qu’il t’est donné de sentir?

Éprouve.

Chaque petit trou de foret qui s’ouvre à travers toi.
Il pourrait t’agrandir.
T’offrir la canopée que tu espères pour construire un repère nomade.
Une réserve indienne faite de nos propres lois.
Un passage secret entre le monde et soi.

Le corps.
Dernier refuge de l’éphémère.

2022
Jan 
20

Les plaines d’Amarante

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:36  

J’ai marché tout le jour
Ailleurs que dans l’endroit où se trouvait mon corps
Maintenant vient le soir
Et je n’ai pas bougé d’ici
Je témoigne d’un dédoublement
D’une ombre plus vaste
D’un voile plus grand
J’ai marché tout le jour sans me voir vraiment
Me suis coupée du corps pour avancer
Sur une autre terre que la mienne
Pour produire

Il m’a fallut me soustraire à chaque pensée
Et chaque sensation
Pour accomplir un dixième de ma pauvre et vénérable mission
Je ne suis ni fière ni désolée
J’ai fait ce que j’ai pu
Un mouvement plus imperceptible que l’air
Une tranchée plus drue que la roche volcanique
Je ne suis pas autre chose que cette voie sur laquelle
Je tente de cheminer chaque jour

Le réveil ne sonne plus
J’ai arrêté tous ses rappels
C’est en moi-même que je dois me tenir debout
Prête à affronter le jour qui vient
C’est à moi-même que je dois me référer pour connaître la liste des tâches à accomplir
Les notes et les carnets ne disent que l’obscurcissement dans lequel me projette la modernité
Et je cède pourtant à sa loi
Je fonds dans les miasmes de cette ère
Pantelante et vaincue
Tant bien que mal je tente de me ressouvenir
De ce qu’il m’a été donné de promettre à l’aube du nouveau jour
Et que j’abandonne pourtant si tôt que je vois clair
Si j’échoue, je ne pourrai condamner que ce voile
Qu’indistinctement je repose sur mes yeux en éveil
Pour mieux me retirer

Je cherche
Et des ruines me répondent
C’est déjà une voix
Celle des pierres
Elle sait
Quelque chose que je n’ose pas encore admettre

La joie est moelle que j’arrache à la mort

Donner un os à la chienne qui jappe
Pour endolorir mon squelette
Et le retrouver un peu moins froid demain
Répéter ce geste
Ne serait-ce qu’une fois au matin
Ne serait-ce que pour me faire croire
Que le voile reste bien attaché à mon index
Et qu’il me suffit de le tendre, de le tordre, de l’agiter -la direction n’importe pas-
Pour reprendre la main sur mon corps
Que rabattre les draps sur ma tête
Peut aussi être synonyme de fête si je ne m’endors pas à poings fermés
Si je garde un œil sur la membrane cellulaire qui m’enveloppe
Si je me rends disponible pour elle
Et que nous trouvons ensemble le chemin qui
Pas à pas
Pied après pied
Pensée passable après pensée dépassée
Nous permet de déplier
La carte au trésor pas encore trouvée
La malle aux merveilles qui s’est repoussiérée

Les poumons noirs et gras
Le cœur en sauterelle
Le vaisseau sans lanterne
Ma capitaine s’aveugle
Elle pêche au crabe dans les grandes eaux limpides
Elle espère que le mal lui donnera raison d’avoir tant attendu
Retourner au bercail et avoir tout perdu
Revenir des enfers et croire qu’on a tout vu
Les petites misères et les puissantes crues
Jeter l’eau à la mer
Boire une tasse d’amarante
Résister aux saisons
Et à l’irrespirable
Repue de répit
Reprendre le flambeau
Surprendre la vie au saut du lit

2022
Jan 
19

hétéronymes

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 20:51  

Alors que je cherchais l’unité, me voilà projetée
Seule
Face à ma propre multiplicité
Je m’efforce depuis toujours de ramener à moi
Les peaux qui dépassent
De faire taire
Les voix qui débordent
Et il se pourrait que j’ai fait fausse route
Qu’en cherchant à être une
J’ai décuplé l’enfermement
Et empêché l’avènement d’une autre
Je lâche
Ce soir même
Les petits ciseaux pointus
Et les fils de laine
Je les laisse déployer leurs envergures et leurs couleurs
Je les laisse choisir leurs directions
Je ne chercherai plus à couper ce qui ne rentre pas dans mon corps-boîte
Je me laisse ainsi
Démultipliée
Éparse
Et inconnue
À moi-même

clinamen

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 20:49  

Ma parole remugle
Un air de déjà vu vicié
Un truc qui cloche
Pas dans l’axe
La parole pas dans l’axe du corps
Le corps à côté du corps
L’épine dorsale déplacée
Ma parole boite
Ma parole boiteuse
Enfermée dans le buccal
Le truc qui cloche ne sonne plus
Bancal
Ma parole bancale
Cherche l’équilibre entre les pieds et les racines du ciel
Ça ne fait que bouger la langue
Ça ne fait que se balancer
Le petit cliquetis qui tambourine à mon palais
Personne ne lui ouvre
Le petit qui boite à cloche patte dans ma bouche on lui claque la porte au nez
L’air aussi aurait pu sortir des narines
Les narines font aussi du son
On leur bouche la voie d’aération
Ma parole ronfle
Et ça n’ennuie pas que la nuit
Ça ennuie tout le monde une parole qui ronfle
Même cellui qui la dit
Me reste le ventre pour apprendre à parler vrai
À parler tripes
Ventriloque anonyme en quête de quoi
En quête de quoi on se le demande
Ma langue rackette tous les livres ouverts
Et c’est un nouveau combat
Ma langue crie à l’aide
S’incline devant le stupre de son siècle
Ma langue crée en coulisses une cadence qui secousse
Gare à qui voudra me confisquer
Ma langue qui glisse
Gare à qui voudra me prendre
Ma langue qui caresse
Gare à celui ou celle qui voudra s’approcher de trop près pour toucher
Ma langue utriculaire
Ma langue utriculaire
Aura tôt fait de capturer la croix que tu crois salutaire de continuer à porter

2021
Dec 
29

traverser les espaces crépuscules

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 18:39  

Je marche vers le crépuscule pour attraper les lueurs roses et jaunes
Du jour qui meurt sans que je l’aie touché
Je marche et pense que si j’étais encore enfant, je courrais
Je réalise que si j’ai la chance de vieillir je ne pourrais plus courir
Alors
Je cours

Je cours avec mes bottes boueuses
Et traverse l’espace qui me sépare des profondeurs
Les oiseaux qui s’abreuvaient à la mare croupie s’envolent sur mon passage
Je cours à travers les ronces et les genêts sans fleurs
Je cours et je souris
Haletante
Cherchant par ma course à reconquérir les refuges de l’enfance

Je m’enfonce dans la forêt pour trouver le rouge du ciel qui s’éteint
Je n’atteins pas la plaine
Il fera noir au retour si je vais plus loin
Il me faudrait un arbre
Une branche amie qui me porte à sa cime
La nuit mange vite les couleurs alors
À la place
Je me penche sur un rocher moussu
Gorgé de pluie qui inonde les tissus recouvrant la pudeur

Il ne fait même pas froid en cette fin décembre
Il ne fait même pas peur, même pas faim, pas même mal ailleurs qu’à l’esprit

Les nuages brûlent et flamboient comme le bout de ma cigarette
J’écoute le vent dissiper la fumée des idées ressassées qui m’embrument

Je repars par le même chemin
Les mêmes ronces et les mêmes genêts
À peine écrasés par ma précédente marche
Je ramasse quelques branches que je traîne dans le pré
Elles serviront à nourrir le feu affaibli par la somme de brindilles des faits
Qui m’empêchent de lire la magie atteignable du monde

Je retire mes habits de chantier et m’attelle au désordre des mots
J’assouplis la distance qui sépare le vrai du faux
Je redonne au langage une nouvelle chance

2021
Dec 
28

Gamma tellurique

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 16:41  

Ne comprends pas ton charabia
Les sourires sur les dessins du
Guide pratique pour les habitants d’un territoire contaminé par un accident nucléaire
Rassurent pas
Font obstacle
À mon entendement

Ne comprends pas pourquoi cet aveuglement
Ne peux pas comprendre que l’ici et maintenant
Le tout de suite pour moi et celleux qui me ressemblent
Vaille mieux que
Se retrousser les manches les paupières
Et la cataracte
Qui sera si j’en crois le dépliant un des pires symptômes

N’ont pas lu la supplication d’Alexievitch
N’ont pas formé dans leurs cortex les images de la peau qui se détache
N’ont pas relu quatre fois le même passage pour être bien sûrs de comprendre

Enterrer la terre
Arroser le béton
Interdire
Mentir
Payer les pauvres qui voudront bien aller au charbon

Gamma tellurique c’est trop beau comme mots pour des résidus d’enfer

Voilà ma guerre: récupérer le pouvoir des sons
Elle est minuscule et inutile ma bataille
Mais si personne ne la mène, les dévoreurs cannibales mangeront jusqu’aux poèmes

Je condamne les bouches qui crachent en souriant
Je condamne les bouches qui profèrent des mots puissants
Sans soucis de justesse derrière leurs sourcillements
De premier de la classe
Les cils ne battent pas
Les fronts se plissent mais les cordes trahissent
Un front bas
Une voix sans ventre
Un coeur sans courage

Prends pas peur
Bats toi
Atomise leur enfer en racontant de belles histoires dans les cours d’école
Tant pis pour leur vieux monde hideux qui croit aux grands hommes et à leurs
Radieux futurs éclairs
Moi je veux du vivant dans mon ventre ma langue et mes yeux
Je veux mes cellules devenir de belles et flamboyantes
Gamines telluriques

2021
Dec 
19

elle part

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 20:35  

Elle part.
Avec ses yeux bleus qui se baissent
Sur mes beaux brodequins bien chauds
Sur sa bavette géante et pleine de tâches
Sur ses bras blessés par les salves d’aiguilles
Ma grand mère a un air de petite fille punie

Hier elle m’a serré la main
Cet après midi elle baisse la tête
Sur mes beaux brodequins
Sur sa bavette géante
Sur ses bras blessés
Elle semble ne plus savoir ce qu’elle fait
Ni pourquoi elle vit

Elle vit
C’est tout
Puisqu’elle est là

Elle laisse passer le courant qui s’obstine à la maintenir
Même plus debout
Assise
Elle s’économise en s’endormant à tout bout de champ
Et je ne sais pas
Si c’est nous qui l’ennuyons
Ou si c’est une façon de nous signifier qu’elle préfèrerait rester peinarde
Qu’on ne la force plus
à manger
à parler
à rester vive

Elle préfère le calme
Elle veut se reposer
Me voir partir
Être seule
Du silence
De la solitude
Du calme
La paix

Enfin

2021
Dec 
16

pourchasse

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 20:03  

Je pourchasse
Les rêves pourchassent
Les salves d’animaux
Sauvages et griffus
Pourchassent
Les cauchemars enfantés par leurs pères
Pourchasseurs pourchassés pourchassant pour chasser
Pourchassent la sagesse chasseresse
Pourchassent à l’affût
La prochaine fois peuchère, je ne donnerai pas cher de ta peau
Chasse pourchasse pourchasse fuis
Les laps de temps passés à chasser
Pourchasse le le temps hideux qui passe
Chasse le
Le temps qui pourrit

Chargez ici
Chargez ici
Chargez ici

Pourchasse

Les nuits auxquelles je dois m’adresser pour chasser celles qui m’ont agressées
Pour chasser les nuits pourfendeuses de grands airs
Défenseuses des grands cris

Le spleen pourchasse
L’angoisse pourchasse
La paresse pourchasse
Le vide pourchasse
Pourchasse plus le plein
Pourchasse
Pourchasse le vice
Pourchasse les hivers qui s’installent en plein mois d’août
Pourchasse
Les doutes pourchasse
Les peurs pourchasse
Les reculades pourchasse
Les bravoures pourchasse
Lâche poursuite
D’un truc qui cloche et serait sensé gicler

Pourchasse

Dans chaque recoin l’indicible
Pourchasse le repos et la veille
Le rêvé l’évité
Les trottoirs
Les lumières de fin de journée
Les longues marches

Pourchasse

En ton sein
Au dehors
Et partout
Chez les autres
Et soudain

Pourchasse la chasseuse elle même

Laisse la s’épuiser pourchasse
Laisse la se rendre pourchasse
Laisse la tomber pourchasse
Elle a juste besoin de se faire surprendre
Pourlèche toi les babines
Ne la laisse pas filer pourchasse
Fous lui la trouille autant qu’elle te la met
Arme ton fusil d’un Amour dont elle ne se remettra pas pourchasse
La bête est vache mais une fois à terre elle ne bronchera pas pourchasse
Elle remugle pourchasse
Sa tyrannie l’achève

Pourchasse
Le cauchemar
Qui s’est installé avant qu’elle ne te trouve pourchasse

La traque ne fait que commencer

découper les couleurs

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 19:39  

C’est une femme qui a un corps
Un corps et aussi un cœur
Et c’est violent
D’avoir
Un cœur et un corps de femme

Il y a les autres aussi
Que la femme emporte parfois dans sa chute
Et c’est limpide
Ça brûle
C’est violemment doux

Elle croit que les souvenirs sont une menace
Et qu’il vaut mieux se mettre l’œil sous un réverbère
Pour
Régulièrement
Tomber aveugle
Une cécité temporaire et parfaite
Qui ne dure jamais plus longtemps qu’une fleur de jasmin que l’on cueille

C’est une femme qui ne veut pas mourir
Mais qui veut bien tomber
Temporairement et régulièrement
Tomber
Dans les pommes ou amoureuse
No importa
Une femme qui se bat pour ne pas
Emporter dans la tombe
Le parfum des fleurs fanées

Alors régulièrement
Et de façon temporaire
Elle s’ouvre l’œil et tout le corps en grand
Elle découpe ses couleurs au scalpel
Et
Elle
Attend
Que ça passe

Elle attend que le vent la pluie et le soleil fassent leur travail
De vent de pluie et de soleil
Dans
Son ventre de femme

2021
Dec 
7

Poste restante: impasse de la liberté

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 23:02  

Impasse de la liberté

Dans la chaleur d’une cabane de fortune

Dans un recoin du manoir d’aventures d’un charpentier au nom de vigneron

Je me répète en chemin

Sois amoureuse de toi

Je regarde en passant les lumières accrochée au balcon

Sur la piste cyclable qui longe le parc

Plusieurs marchands vendaient des sapins gris

Parents et poussettes attendaient qu’on leur livre un bout de forêt coupée

Pardon

Un bout de terrain élevé pour être rasé une année sur trois

Mon ventre a fait un festin de colères abruptes

Je n’ai rien fait d’autre pourtant que de parler

J’ai arrêté à temps la prolifération de champignons et de pensées qui envahissent ma vulve à l’heure des presque lunes

Me suis allègrement fait enflammer l’âme par une tempétueuse chatte, poète de son état, et visionnaire, si j’en crois ses paroles.

Je me ferais bien une halte

Un vrai repos

Un truc de mammifère

Un vrai hiver

Une tasse de verveine entre les mains

Un chat et un bouquin sur les genoux

Je me verrai bien

Ne rien faire d’autre que d’être dans mon corps

Pour une fois.