2023
Oct 
27

Buenos Aires querida

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 14:38  

No puedo recorrerte entera

Buenos Aires querida

Tengo que aliviar el peso que pesa en mi metatarsa izquierda

Es igual

Me gusta olerte, escuchar el ruido tremendo de la carretera

Los bondis bondés y el pito del vendedor de churros

Admirar los puentes y la girafas de hierro del puerto

Imaginar lo que fue la Boca y el caminito antes de que se convierta en el Disney del tango

Me duele la barriga pensar que 10€ son 10 billetes de 1000 pesos

y tener que cuidar mi mochila

y ponerme esa cara de perra para alejar a los robadores

y sentir tu pueblo harto de las malas noticias

sigues siendo bella

a pesar de tus muros de ladrillos colocados sin cemento

con ese aire de riqueza y ruinas

y las manchas rosas de alagarobos entre las villas décrépies

creo recordarte como si fueras un sueno

dejar las pesadillas de lado

respirar mas hondo

andar mas alla del quilombo

eres una reina disfrazada de indigente

 

2023
Feb 
22

éboulis

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 20:44  

quand ça va trop vite

qu’il y a trop de données

quand le véhicule terrestre que j’habite est plein à ras bord

quand la tête envoie à mes lèvres mille signaux depuis mon ventre

il n’y a pas de tri

ça capote

 

un écran blanc s’interpose entre la somme d’informations que mon corps traite

et ce qu’il conviendrait de dire ou de faire

ça ne passe pas

quelque chose bloque, se met en travers

parfois il n’y a rien qui sort

ou alors par bribes

ça bute

ça ne veut pas

les cailloux dégringolent

éboulement sur la voix

 

il y a une digue

quelque chose bégaye

quelque chose cherche à soulever l’éboulis

une bête que le bruit effraie

 

c’est un déferlement et je dois l’endiguer

pour éviter que tout ne sorte abruptement

je dois y remettre le ton, je dois y déposer du temps

je n’ai pas d’autre choix que d’écrire un poème

ça cogne aux oreilles de l’autre et je ne sais pas ce qu’il en restera

il faudrait attendre que ça vienne du bon endroit

 

les parois ont été reformées avec des pierres et du plâtre de piètre qualité

ça ne tient pas

mais ça fait bien

c’est propre

c’est blanc

c’est lisse

c’est sec

de loin on s’y croirait

un lieu idéal

un artifice

 

quelque chose brûle

laisse s’écrouler l’édifice

 

essuyer les plâtres

passer la main sur les parois

les anciennes couches s’effritent

tout ce qui ne tient pas tombe

reste à mes pieds un tas de gravas éboulés

 

le revêtement d’avant tombe en croûte

les couches de papier peint se décollent à peine

c’est gluant

je malaxe la pâte qui redevient chair au sous sol

c’est vivant

 

la maison a été reconstruite

transformée en cabane

un abri sous mes mains

je reprends mon chemin

 

qu’y a t’il de l’autre côté?

d’autres montagnes

un nouvel horizon

tu n’es pas arrivée

il faudra redescendre et trouver une nouvelle voie d’accès

 

je me tiens sur la crête

il y a un basculement possible

et j’ignore ce qu’il y a de l’autre côté

je pourrais mourir d’incandescence aussi bien que d’ennui

dévaster la forêt de la fougue qui m’habite

ou vivre à peine l’équivalent d’un transport de fourmi sur l’échine des géantes

 

c’est peut-être plus simple que ce que tu espères

le plein soleil, l’éblouissement, ça ne dure que quelques minutes

c’est une autre lumière qui succède aux pleins feux du zénith

c’est peut-être moins raide que ce que tu redoutes

 

une fois arrivée au sommet

clamer la joie d’être là

jouir

ROMPRE LE SILENCE

Filed under: Journal Débordé — Tags: , — fabuleta @ 20:41  

Rompre le silence comme on romprait le pain

Tâte la croûte et déchire la mie

Sépare avec délicatesse les atomes de vocables agglutinés derrière la glotte

Après s’être empiffrée de silence

La langue sèche

Il faut l’enduire de patience

Bois l’eau que j’ai chauffée

 

We all know how

We all know how

 

C’est après avoir rompu le pain qu’on le mange

C’est après la diète que reviennent les mots

Les pensées déferlent et se recroquevillent

Comme le bol alimentaire s’acidifie dans l’estomac

Je sais que les silences pèsent

Que les secrets assassinent des bonheurs possibles

Que nos peaux sont les cibles d’invisibles abus

Et qu’on paye toustes le prix d’un déni accablant

 

We all know how

We all know how

 

Je sens que ton corps sait même si tu ne dis rien

Que l’habitude est un corset pire que ceux des dames de l’ancien régime

Que ton drame est caché en-dessous de la sole

Qu’on te dit sois solide

Qu’on te dit sois aimant

Et que tu ne sais plus vraiment où donner de la tête

 

Tu rationnes tes élans, ta langue se rétracte en lieu et place des commentaires gluants

Tu apprends peu à peu à faire avec le consentement

Savais-tu que dire “tu veux venir dans mes bras?” Ou “je peux mettre ma main là?”

Est plus sexy qu’un regard qui fouille, ou qu’un membre qui durcit?

Tu cherches au fond de tes poches ce qui jadis te rassasiait

Tu crains de devenir malingre si on te refuse un oui

Que ta mine maligne s’écroule si devant tes amis tu deviens autre chose

Ne sais-tu pas que d’une miche on peut faire un festin, que partager sa mie c’est multiplier de possibles amours?

Et qu’il y en a pléthore, de toutes les tailles et de toutes les formes

Et que ça ne sert à rien de battre la campagne pour préserver un grenier de grains pourris

Qu’il vaut mieux semer ce qui va s’aimer mieux

 

We all know how

We all know how

 

Nous savons toustes comment sortir de là

Ça n’est rien qu’un peu d’eau, de sel, de blé, du feu, du temps

C’est un peu de salive et de curiosité, et oui, c’est vrai, il faudrait de l’argent

Pour enseigner à se resouvenir

Pour réapprendre comment la chaleur d’un foyer peut redorer le coeur

Et oui, c’est vrai, il nous faudrait du temps

Pour s’écouter vraiment

Pour patienter encore

Pour que des corps fermés on retrouve la clef

 

Celle qui dessous le pain referme la blessure

Pétrir

Trier

Écrire

Crier

 

We all know how

We all know how

 

Nous avons les premières rompu la parole

Il faut maintenant la digérer

Sous peine d’errer il faut maintenant dire, à ton tour, tout ce qui t’a manqué

Sortir les doigts du fond de la luette

Oser réclamer de la vie dans ton ventre

Demander à ton père qu’il fasse un geste tendre

 

Rompre le silence

Répandre sur la table les miettes

Se regarder en face et dire:

Qu’est-ce donc qui t’empêchait de me nourrir?

Que t’a t’on pris que tu n’as pu donner?

2023
Jan 
2

S’arrêter

Filed under: Journal Débordé — Tags: — fabuleta @ 23:56  

Tu continues de courir
En espérant que la vitesse brouille suffisamment le paysage qui défile derrière tes carreaux

Depuis quand ne t’es tu pas arrêtée ?
Je ne parle pas d’être arrêtée de plein fouet par le corps qui refuse soudainement de faire un pas de plus
Ni d’attendre à un feu ou dans une file de supermarché
Cela s’apparente plus à une attente contrainte.
Depuis quand n’as tu pas fait le choix de t’arrêter?

Si tu t’arrêtes
Ne serait-ce que trois minutes
Sais tu ce qui t’attend?
Sais tu la quantité d’événements qui peuvent subvenir en trois minutes seulement?
Un spermatozoïde peut atteindre une ovule
Un coeur peut s’arrêter de battre
Un simple bonjour peut dévier ta vie
Les roues de ton vélo peuvent se prendre dans les rails du tram
L’aube se lève et la lumière inonde la nuit

Arrête toi de toi-même
Arrête de fomenter des plans pour devenir
Arrête de croire tout ce qui se dit sur les carrières, la psyché, les drames, le capitalisme
Arrête dès maintenant de croire en une formule prête à l’emploi qui te tomberait dessus
Ce serait bien pratique d’avoir le mode d’emploi de la machine qui te sert de vaisseau spatial
Mais ça n’existe pas
Arrête
Arrête d’attendre
De fabriquer du bruit
Des nécessités
Depuis quand ne t’es tu pas arrêtée?
Combien de temps tiens-tu sans rien faire?

Même la pie te sert de démarreur pour un poème
Mais tu n’es pas vraiment avec la pie
Tu es avec l’idée de toi-même écrivant sur la pie
Avec l’idée de toi même attisant les braises
L’idée de toi même observant l’oiseau mort
L’idée de toi qui sent
L’idée du son qui rentre dans tes oreilles
Le chat
La pie
L’oiseau mort
Les éléments
Les bruits
Ne pensent pas
Ne se font aucune idée d’eux mêmes

Parce que tu es humaine
Tu déploies des idées à partir de l’infime
Tant mieux
C’est grâce à cela que nous avons des ponts
Des scanners
Des stéthoscopes
Des carnets à spirales
Des stylos à bille, des kaléidoscopes et des imprimantes à jet
C’est parce que l’humain fabrique du concret à partir d’une idée qu’il y a des vélos, des moteurs, des pompes à essence, des machins verts au fond des pots de cornichons, des boîtes de toutes les tailles et de toutes les couleurs, des enceintes et des ordinateurs, des monuments aux morts, des pots de fleurs en terre, en plastique, en céramique, des pinces, des bouilloires, des thermos, des pulls chauds faits à base de bouteilles recyclées, des musées et des barrières de sécurité et des et des et des des des des des…
Et certaines choses restent
Et d’autres font le tour de la terre mille fois avant d’être reprises
Certaines sont oubliées et d’autres sont adoptées en toute hâte
L’idée est une traînée de poudre

Inarrêtable

Il suffit pourtant de pas grand chose
C’est quelque chose en moins justement
Ce n’est pas une action à entreprendre
Ni un effort à fournir
Il s’agit de soustraire
Il suffit (et tout est dans ce verbe: suffire)
Il suffit de s’arrêter

Pour une pie qui s’envole du fil
Pour un oiseau mort au bord du chemin
Pour sentir le vent et le soleil d’hiver
Pour écouter les aboiements des chiens
Les enfants dans la cour
Les ronronnements du chat

S’arrêter
Pour rien
Pas pour relâcher la pression
Pas pour faire une pause
Pas pour méditer

S’arrêter au milieu du passage piéton quand le bonhomme est vert
Simplement parce que c’est possible de le faire
S’arrêter au milieu de la flaque d’eau
S’arrêter juste avant de redire aux enfants:
“vite, dépêchez vous, on va être en retard”
Le mot vite n’a jamais raccourci le temps ni rattrapé le retard
Le mot vite précipite les battements de cœur dans le ventre. Ça donne la nausée.

Note pour plus tard
Arrête de vouloir arriver quelque part à temps
Arrête de vouloir arriver quelque part tout court
Arrête de vouloir
Arrête

Arrête toi un instant pour
Non…pas pour
Arrête toi un instant et
Non… pas et
Même pas et

Arrête toi
C’est tout
Il n’y a rien, rien de ce à quoi tu t’attends
Pas d’épiphanie
Pas de grands éclairs
Pas de flash
Pas de génie
Pas de lampe
De foudre
De buisson ardent
Pas de bougie
Pas de lueur suprême au fond du firmament
Pas de spectacle époustouflant
Pas de transcendance
Rien d’extraordinaire
Et pourtant c’est là
Partout, tout le temps

Arrête toi
Tu sens?

Il y a des couleurs
Une chaleur particulière sous tes pieds, dans tes paumes, à ton cou
Il y a des sons
Je sais, c’est beaucoup

Remets toi en marche
La marche dilue les sensations
La marche les multiplie
La marche déplie l’horizon
Ça s’agrandit

Si les sens t’assaillent
Arrête toi

C’est long, oui
De cette façon on ne va pas bien loin
Mais où veux tu aller?
Et pour quoi faire?
Pour accélérer le temps?
Ou pour le remplir?

2022
Oct 
18

épauler chaque pas

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 19:56  

j’écris pour personne dire

pour pas que déborde monde

 

avion

oiseaux

plume

 

j’entends

la Peau grandit quand je respire

je dégorge

 

trop vite soulevées

les couches d’Écoute

s’évaporent

 

ralentis

dissous

l’intention

 

noyer

coquille

tombe et s’ouvre

 

la drupe

assourdit

la chute des graines

 

cherche pas

laisse faire

c’est plus simple que ça en a l’air

 

si ça fige t’en fais pas

ça se défait

les fixations ça fond

 

c’est parfait

tel quel

inexorable

 

soupçons soudent Yeux sur pensées

danse dit par peu de mots

dit par pays que Peaux parcourent

 

pas bouger

épauler l’infini que tu consumes

à chaque

 

pas

2022
Sep 
29

Imprenables

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 18:41  

Imprenables

Les montagnes

Imprenable

Le ciel

Imprenables les étoiles

Imprenable l’air

Imprenable la pluie

 

mettre en fiole l’instant

comme une capsule magique en cas de grand vent

arrête toi

 

 

arrête toi et goûte

le silence de la plaine

le brouhaha de la ville

il y a de la musique là

 

arrête toi et écoute

l’interaction des éléments dans l’organisme

la chimie de l’impalpable sur ta peau

il y a un dessin ici

 

arrête toi et observe

le plissement des roches

la forêt satinée de lumière

l’effluve

toute entière dans ta fiole

 

accroche-la à ta ceinture et pars marcher sur les routes caillouteuses

n’attrape que les branches qui ne te résistent pas

ta marche est lente mais sûre

tu traverseras les déserts

tu cours au-devant de ta quête

ne t’arrête pas

 

ne t’arrête pas pour regarder ton ombre

elle danse seule auprès des flammes

elle est là, n’espère rien, ne t’attend pas

l’écran est triple si tu regardes ton ombre

l’environnement flou, n’existent que les obsessions

et l’autre espace, inaccessible

donne plus de place à l’inaccessible, il n’est pas si loin

c’est juste de l’autre côté du miroir

c’est une réalité aussi tangible que la nôtre si tu y plonges

 

que veux-tu raconter?

des histoires de fourmillements et de catapultes rythmiques

 

Imprenables

2022
Sep 
19

La jolie savane

Filed under: Journal Débordé — Tags: — fabuleta @ 22:47  

Y’a des loups y’a des tigres y’a des léopards

qui se pavanent dans ma jolie savane

 

À l’école maternelle j’étais comme une nounouille sur mon banc.

C’est ce que je disais à ma mère quand elle me demandait ce que j’avais fait de ma journée: “Je suis restée comme une nounouille sur mon banc”

Dans les escaliers de cette école, il y avait un animal empaillé. Je crois que c’était un sanglier. Ou alors un rhinoféroce.

 

Y’a des tigres y’a des lions y’a des léopards

il y a de tout dans ma jolie savane

 

Alors on m’a changé d’école. Je me suis remise à bouger. Je me suis remise à jouer.

Il y avait une cage sur laquelle on pouvait grimper. J’avais une jupe et un garçon de ma classe s’était mis dessous pour la regarder et il riait il riait.

Ce devait être une hyène. Ou alors un macaque.

 

Y’a des loups, y’a des tigres y’a des salopards

qui fouillent partout dans ma jolie savane

 

Dans la nouvelle école maternelle, la sieste était obligatoire. On n’avait pas le droit de bouger. Et moi je ne pouvais pas dormir avec autant de gens à côté. Je secouais mes pieds, je jouais avec mes mains, et la dame sans cesse revenait et me remettait les mains et les pieds dans le lit.

On aurait dit un phacochère. Ou bien un hippopotame.

 

Y’a des tigres y’a des lions et y’a des vieilles dames

c’est le bazar dans ma jolie savane

 

Je me souviens de Mme Laine et de Mme Denis. Elles doivent être mortes ou à l’EHPAD aujourd’hui (ce qui est un peu la même chose si vous voulez mon avis)

Mme Laine avait les cheveux blonds mi-longs. Mme Denis les cheveux courts châtains, elle portait des lunettes. Dans sa classe il y avait de gros feutres qui sentaient bon. Le midi à la cantine il y avait une brique de lait pour chaque enfant.

Je pense aux monticules de briques de lait vides et de feutres sans encre qui s’entassent quelque part loin de nous depuis les années 90.

 

Y’a des vers y’a des rats y’a des chiens errants

qui se partagent les restes des enfants

Carbone Héros

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 12:15  

tocsins galop

grimés

remonter la pente

caravane de trognes

yeux allumés

la face ouest du mont aiguille veille

il va faire froid ce soir

garder le cœur chaud

bois bois bois

l’ardent liquide jaunâtre

transformations en fusion

changements d’état

déshydrater la matière

redistribuer la soif à l’air

eau vaporeuse évaporée par

le vent du vercors veille

allume le feu

il va faire froid ce soir

ferme la porte

le cœur est chaud

il bat bat bat

boum boum boum

les flammes burinent les organes

le feu tambourine le métal

alliage régénérant

pyrolyse purificatrice

lente opération d’une apogée du noir

ai pas peur du noir

le noir protège

le noir mange tout

carbone partout

huit mille ans de secrets perdus au bord de la cabane

les charbonniers veillent

il fait froid ce soir

nous ferons un festin

bois bois bois

l’ardent liquide jaunâtre

le corps est chaud

mets les gaz, virevolte

exaltantes volutes

dans tes bras

des moulins tes bras

des lianes tes jambes

veines chevreuil

charogne veille

la nuit n’est pas finie

il ne fait pas froid quand tu dépenses de l’énergie

utilise des plus petits muscles horripilateurs à tes quadriceps

bout bout bout

le sang et les sèves ardentes

la plèbe est debout

de part et d’autre du tronc

on cherche le bâton pour se faire battre

l’unique argument qui rassemble les nous / eux

c’est d’écouter la forêt

se faire liber sédiment trogne noueuse

aller au devant du danger de rejet

des rejets poussent de nouveaux arbres

la forêt veille

la forêt réveillée

vibrations brillantes

sur la toile

bruits de tracteur et de cris

dans la nuit

la rosée refroidit l’enveloppe

boue boue boue

cendre luisante

os dents noirs diamant

couronne de buis à jamais sauvé de la pyrale

cheveu spaghetti pomme de pin coquillage

tout figé mais tout fragile

papier carbone imprime ou supprime les détails en un battement de paupière papillon

délicatesse au bout des doigts

la nuit nous veille

nul tumulte autre que le froissement des duvets

il fera doux demain

charbonner charbonner charbonner

tant que dure le temps

les faces calcinées

redescendent de la transe

les yeux brûlent d’un éclat particulier

carbone héros

2022
Aug 
30

Danseruna 2022 – Please clean up the floor

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 16:19  

C’est la récré de fin d’été

Le grand ménage

Le cleaning space de l’année

Le nettoyage des “il faut” et “on doit”

Danseruna

Une fois l’an se retrouver là

Pour être sûrs de débuter la rentrée du bon pied

Danser les ruines

 

Lâche les rames, laisse toi couler

La piste est un chaudron magique qui te permet de nager

Si tu te sens perdu dans le nocturne océan qui se crée

Regarde la voile diaphane au-dessus de ta tête

Flottante, éperdument tendue entre la terre et la toile du ciel

Elle respire

Elle respire au même rythme que le diaphragme de la foule

La foule qui se fait et se défait

Petite bombe à retardement qui s’immobilise ou se laisse tomber

D’un coup d’un seul

 

De cent corps n’en faire qu’un

Oser se poser nu, debout face à l’inconnu

Les bras comme seule proue

L’axe de l’autre comme un mât autour duquel naviguer

Pas à pas

Laisser dans les abysses l’ego perclus de doutes

 

Qui danse quoi?

Avec quelle étiquette t’arrives et vers quelle matière tu dérives?

Le pied que tu poses c’est un tango ou une mazurka?

Le porté que tu proposes c’est du contact ou c’est n’importe-quoi?

Ça ne ressemble à rien de connu

C’est une presque bourrée, un quasi cercle, une mazurkiche

Tambouille savoureuse, soupe cosmique, bouillon brouillon sans chorégraphie prédéfinie

Et tant pis si parfois ça flotte et que ça n’est pas parfait

Que les blancs sont trop blancs et les trad un peu crad

Parfois c’est le bazar et on ne comprend plus rien

 

On

Pronom indéfini qui ne dit rien de précis

On

Qui se noie dans le monde sans avoir rien dit de lui

Je joue du nous que je vois en vous

Mon nous n’est peut-être pas le tien

Mais même si nous ne nous nouons pas tous.tes au nous de la même manière

J’aime imaginer que les jeux que nous créons nous aident à tisser des liens

 

Combien de temps tient-on dans une ronde endiablée?

Combien de fois faut-il que nos pieds frappent le sol pour alimenter le feu

D’une brûlure qui ne laisse d’autre cicatrice que le souvenir incandescent d’une nuit de liesse?

Nous ne brûlons pas

Nous suons

Les gouttes de transpiration qui coulent le long des dos nuques cuisses

C’est de l’eau sacrée

Remplie du sel de nos danses

Une prière pour exister

Pour affirmer une fois encore, une heure de plus

Nous vivons

Nous vivons

Nous sommes traversés

À chaque seconde

Par un feu plus profond

Par une soif plus vive

Par une joie plus pure

 

L’innovation dont nous faisons preuve chaque soir

Est plus inventive et mille fois plus puissante que toutes les technologies qu’on nous somme d’avaler

Ce que nous ingurgitons à chaque goulée

C’est de la came 100% organique

Bouche ouverte, portes entrebaîllée des émotions baillonées

Paupières recouvrant délicatement le globe oculaire, yeux ouverts au dedans

Regard membrane plus ample que le costume de peau que je porte

 

Désaffecter le regard

Désinfecter les plaies des mémoires salies par des siècles de domination

En redonnant au corps sa juste place

Véhicule terrestre capable de prouesses pas encore découvertes

Réceptacle de désirs de toutes sortes

Lieu du soin et du carnage

Grand organisateur du chaos

Usine à transformer le pourri en puissante harmonie

 

Nous, nous ne feignons rien

Nous accompagnons les élans qui viennent de toutes parts

Nous repeuplons de nos pas puérils les forêts de sens abîmés

Nous rallumons l’incendie en emmêlant les lianes de nos jambes

Jusqu’à l’étincelle

La friction des chaînes de mains mêlées ne nous contraint pas

Nous nous ensorcelons nous-même

Nous croyons aux histoires qui se racontent dans les corps

L’espace d’une mélopée qui s’étire jusqu’au délire

Ou dans l’étourdissant silence qui succède à l’extase

Nous déployons les liens tissés dans d’obscures granges et dans des MJC

Sur des parquets montés en une journée en plein cagnard

Ou dans les salons carrelés des particuliers

 

Ce château fût notre domaine durant une semaine

Nous y faisions résonner les rythmes d’anciennes ritournelles

Pour les redorer du blason des airs actuels

Nous dansons sur les ruines du vieux monde

Nous dansons pour réveiller le magma en fusion des pierres arrachées aux montagnes majestueuses

Nous dansons pour dépoussiérer la mémoire funeste des carrières

Pour éteindre définitivement en nous l’aspiration des cendres capitalistes

Nous ne capitulerons pas

Nous ne céderons pas à la menace d’extinction de l’abondance

Tant qu’il y aura de bonnes danses

 

Nous travaillons ici à abolir les rangs de toutes sortes

Par l’organisation spontanée de nos bras bustes pieds

Nous travaillons en secret à l’avènement d’un métissage

Qui à première vue pourrait paraître absurde

Tant nous nous ressemblons

Cœurs couleurs âmes frontières poreuses de l’invisible qui s’incarnent en un geste

 

La tango argentin n’est-il pas la plus belle preuve de mixité?

Sorti des bas-fonds d’un port abîmé par la conquête

Descendants d’espagnols, d’esclaves africains,

De galériens européens venus tenter leur chance ailleurs

Repère de malfrats, de putes et de bandits

Flamenco et tambour, argot italien et verlan de la langue dite de Molière,

Accordéons wagnérien

Attaques au couteau des faubourgs mal famés,

Mouvement de hanches chaloupés des prostibules

Tout un vocabulaire des bas quartiers aujourd’hui symbole d’une nation

Aujourd’hui loué pour sa grâce et sa sensualité

Au-delà de ce que l’œil voit au premier abord

Ce que l’on aime ici c’est ce que la danse nous apporte de lien probable à l’autre

Cette troisième voie

Ce trouble indescriptible que les pédagogues modernes s’évertuent à formuler

Pour mieux nous faire toucher l’indicible connexion

 

Le shoot ultime

Trois minutes de transe

Une danse

2022
Jun 
16

Le dernier verre de calva

Filed under: Journal Débordé — Tags: — fabuleta @ 21:05  

J’ignore si c’est de l’ironie ou une tentative de communication subtile

Les deux je crois

Les deux sans doute

Hier j’ai marché jusqu’au cimetière

Dans le but de ramasser les fleurs encore potables dans la poubelle

J’ai d’abord eu du mal à ouvrir la grille

Et puis j’ai erré entre les tombes

J’ai lu les noms, en ai reconnu plusieurs

Ici les familles sont de véritables dynasties

Terrasse, Chatoney, Viallat, Serre…

Les caveaux contiennent parfois une dizaine de personnes

Les croix les plus anciennes sont entassées dans un coin

La plupart des fleurs sont en plastiques

Sèches dans le meilleur des cas

Seules les plus récentes ont encore un semblant de couleurs

Il y a plusieurs tombes sauvages

Un pin, de la lavande de deux sortes, des fleurs sauvages, des plantes grasses

J’ai refermé la grille

Je n’ai pas osé prendre les bulbes qui séchaient ni même les pétales en PVC égarées

J’ai trouvé la poubelle et le robinet en sortant et me suis dit que je reviendrai avec un sac à dos

Pour moins attirer l’attention sur moi qui ne serai jamais d’ici

J’arroserai les plantes à sauver en échange

Je suis rentrée par le chemin des broussailles

Le raccourci semblait avoir été nettoyé

J’étais bloqué dans le terrain des Terrasse

J’ai craint d’être repérée et menacée avec un fusil

Sur les tombes, beaucoup de plaques disaient: à mon ami

Avec un dessin d’homme armé d’un fusil

Je sais que la chasse rapproche ici

Mais j’ai eu peur d’être prise pour une traître à la patrie

Avec mes idées de voleuses

Et ma dégaine de bohémienne

Robe au vent et pieds nus

Les épines de châtaignes dans les tongs, voilà les ennemies!

 

Si je couple cette visite dans la chambre des morts avec la nouvelle d’aujourd’hui

Je peux décemment penser que la pensée que j’ai eu en observant la bouteille de calva ce midi

N’était ni un hasard ni une bévue de l’esprit

C’était ton clin dieu

Ce midi en prenant une assiette, mon œil à moi est tombé sur ta bouteille et je me suis dit

c’est la dernière, après il n’y en aura plus

Alors j’en bois ce soir tu vois

Pour que le goût de pomme et d’alcool me relie à toi

Ça marche un peu

Mais moins que l’écho de ton rire

Un petit rire aigu, un rire de souris malicieuse

Un rire qui n’allait pas avec ta carrure

150 kg et combien d’années d’excès?

Tu t’en foutais il parait

Tu ne regrettais pas

Tu as fêté la vie dans tes tuyaux

Tu m’appelais Tito

Quand j’ai été assez grande pour demander qui c’était

Tu m’as dit un salop

Je crois qu’après tu as ajouté une consonne dentale à la fin

Je n’étais plus une enfant

Ce n’est que récemment, revisitant la construction de l’imaginaire politique de ma famille

Que j’ai compris que c’était un peu plus compliqué que ça

Je comprenais pas toujours ce que tu disais

Tu parlais vite

Avec ce fond de cauchois dans la bouche qui m’empêchait de tout suivre

À un moment, ton dentier a commencé à se faire la malle

Tu t’en foutais aussi, apparemment

Je me souviens d’une photo où tu fais semblant de me jeter dans un container à ordures

J’imagine que tu avais trente ans, et envie de passer une journée sans chiards chialeurs

Vous aviez dû bien rigoler

Je me suis parfois demandé si quelque-part dans mes cellules restaient des traces de cette journée

La mémoire est si vaste

Pourtant tu vois, j’arrive presque au dernier souvenir qu’il me reste de toi

Je devais avoir vingt ans, peut-être vingt-trois

Je sais plus pourquoi j’étais montée dans le camion avec toi

Peut-être que c’était l’enterrement de ton père

Ou alors on débarrassait des gravas

Toujours est-il que je t’avais charrié

Et je t’avais demandé du tabac

Tu fumes toujours des gauloises?

Oh non j’ai arrêté, pouah…Et encore c’était plus fort avant

Ah bon

Maintenant ils mettent des saloperies. Tu fumes toi?

Je t’avais aussi dit que je voudrais bien t’acheter du calva

Il a le vrai goût de pommes le calva que tu brasses avec tes copains

Quand je t’ai vu pour l’enterrement de ta mère

Tu m’as dit que c’était la dernière tournée

C’est fini ça

Le pressoir marche encore

C’est con, je t’ai jamais demandé la recette

J’aurais pu essayé

Il y a un pressoir dans le village où j’habite

C’est loin de la Normandie mais on sait jamais

Tonton

J’ai allumé une bougie et mon verre est presque fini

Sur la bouteille de Perrier en plastique il y a écrit

Le dernier calva du tonton

À la tienne

Daniel