2023
Jan 
2

S’arrêter

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 23:56  

Tu continues de courir
En espérant que la vitesse brouille suffisamment le paysage qui défile derrière tes carreaux

Depuis quand ne t’es tu pas arrêtée ?
Je ne parle pas d’être arrêtée de plein fouet par le corps qui refuse soudainement de faire un pas de plus
Ni d’attendre à un feu ou dans une file de supermarché
Cela s’apparente plus à une attente contrainte.
Depuis quand n’as tu pas fait le choix de t’arrêter?

Si tu t’arrêtes
Ne serait-ce que trois minutes
Sais tu ce qui t’attend?
Sais tu la quantité d’événements qui peuvent subvenir en trois minutes seulement?
Un spermatozoïde peut atteindre une ovule
Un coeur peut s’arrêter de battre
Un simple bonjour peut dévier ta vie
Les roues de ton vélo peuvent se prendre dans les rails du tram
L’aube se lève et la lumière inonde la nuit

Arrête toi de toi-même
Arrête de fomenter des plans pour devenir
Arrête de croire tout ce qui se dit sur les carrières, la psyché, les drames, le capitalisme
Arrête dès maintenant de croire en une formule prête à l’emploi qui te tomberait dessus
Ce serait bien pratique d’avoir le mode d’emploi de la machine qui te sert de vaisseau spatial
Mais ça n’existe pas
Arrête
Arrête d’attendre
De fabriquer du bruit
Des nécessités
Depuis quand ne t’es tu pas arrêtée?
Combien de temps tiens-tu sans rien faire?

Même la pie te sert de démarreur pour un poème
Mais tu n’es pas vraiment avec la pie
Tu es avec l’idée de toi-même écrivant sur la pie
Avec l’idée de toi même attisant les braises
L’idée de toi même observant l’oiseau mort
L’idée de toi qui sent
L’idée du son qui rentre dans tes oreilles
Le chat
La pie
L’oiseau mort
Les éléments
Les bruits
Ne pensent pas
Ne se font aucune idée d’eux mêmes

Parce que tu es humaine
Tu déploies des idées à partir de l’infime
Tant mieux
C’est grâce à cela que nous avons des ponts
Des scanners
Des stéthoscopes
Des carnets à spirales
Des stylos à bille, des kaléidoscopes et des imprimantes à jet
C’est parce que l’humain fabrique du concret à partir d’une idée qu’il y a des vélos, des moteurs, des pompes à essence, des machins verts au fond des pots de cornichons, des boîtes de toutes les tailles et de toutes les couleurs, des enceintes et des ordinateurs, des monuments aux morts, des pots de fleurs en terre, en plastique, en céramique, des pinces, des bouilloires, des thermos, des pulls chauds faits à base de bouteilles recyclées, des musées et des barrières de sécurité et des et des et des des des des des…
Et certaines choses restent
Et d’autres font le tour de la terre mille fois avant d’être reprises
Certaines sont oubliées et d’autres sont adoptées en toute hâte
L’idée est une traînée de poudre

Inarrêtable

Il suffit pourtant de pas grand chose
C’est quelque chose en moins justement
Ce n’est pas une action à entreprendre
Ni un effort à fournir
Il s’agit de soustraire
Il suffit (et tout est dans ce verbe: suffire)
Il suffit de s’arrêter

Pour une pie qui s’envole du fil
Pour un oiseau mort au bord du chemin
Pour sentir le vent et le soleil d’hiver
Pour écouter les aboiements des chiens
Les enfants dans la cour
Les ronronnements du chat

S’arrêter
Pour rien
Pas pour relâcher la pression
Pas pour faire une pause
Pas pour méditer

S’arrêter au milieu du passage piéton quand le bonhomme est vert
Simplement parce que c’est possible de le faire
S’arrêter au milieu de la flaque d’eau
S’arrêter juste avant de redire aux enfants:
“vite, dépêchez vous, on va être en retard”
Le mot vite n’a jamais raccourci le temps ni rattrapé le retard
Le mot vite précipite les battements de cœur dans le ventre. Ça donne la nausée.

Note pour plus tard
Arrête de vouloir arriver quelque part à temps
Arrête de vouloir arriver quelque part tout court
Arrête de vouloir
Arrête

Arrête toi un instant pour
Non…pas pour
Arrête toi un instant et
Non… pas et
Même pas et

Arrête toi
C’est tout
Il n’y a rien, rien de ce à quoi tu t’attends
Pas d’épiphanie
Pas de grands éclairs
Pas de flash
Pas de génie
Pas de lampe
De foudre
De buisson ardent
Pas de bougie
Pas de lueur suprême au fond du firmament
Pas de spectacle époustouflant
Pas de transcendance
Rien d’extraordinaire
Et pourtant c’est là
Partout, tout le temps

Arrête toi
Tu sens?

Il y a des couleurs
Une chaleur particulière sous tes pieds, dans tes paumes, à ton cou
Il y a des sons
Je sais, c’est beaucoup

Remets toi en marche
La marche dilue les sensations
La marche les multiplie
La marche déplie l’horizon
Ça s’agrandit

Si les sens t’assaillent
Arrête toi

C’est long, oui
De cette façon on ne va pas bien loin
Mais où veux tu aller?
Et pour quoi faire?
Pour accélérer le temps?
Ou pour le remplir?

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