2020
Jun 
12

Dans les interstices

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 16:50  

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Tableaux

Alinéas

 

Coupures de presse

Il me montre l’article du jour de son jugement

On y parle de malfrats, de passeurs, de “capitalisme de la misère”

Cela ne dit rien de la lâcheté de l’État, de l’impunité des vrais pilleurs

Entre les lignes il y a des vies qui ne parviendront jamais à se résumer

En un paragraphe

Sur du mauvais papier

 

A Bristol les habitants, noirs et blancs

Jettent à l’eau les symboles

Au Ghana, c’est Gandhi qui s’est fait déboulonné

D’aucun-es diront: ce n’est qu’une image,

Seulement un nom sur une plaque de marbre

Une allégorie, du passé, notre Histoire. Tout n’est pas rose

Et il faut se souvenir des bons comme des mauvais

 

Et moi je dis qu’il nous faut repeupler

Les rues et la mémoire, les livres et notre Histoire

Avec de la foule anonyme

Remettre à l’honneur la Commune

Oublier pour un temps les humain-es exemplaires dont nous ne sommes pas tous-tes

 

Si ce n’est pas sur les grandes places que se rejoue le match

Que ce soit dans les boyaux intestinaux de cette foutue république

Qui porte si bien son nom quand il s’agit de l’administration

Mais qui repousse son res , ce rien qui est en fait

Tout

Dans les bas-fonds sournois du déni

Légitimant seulement l’acception qui désigne ce qui appartient à l’État

Et non plus ce qui tient

Du ressort du peuple

 

Nous formerons nos propres gouvernements

Dans les interstices

Chaque brèche sera pour nous l’occasion d’essayer

De rendre enfin justice

Et si nous échouons, d’autres prendront le relai

Nous sommes les éboueurs étincelants

Les chercheurs d’or de la fange sociale

 

Le capitalisme C’EST la misère

Vous ne ferez pas l’économie du réveil de la colère

 

2020
Jun 
10

Deux feux follets

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 23:52  

“Le jour où je suis parti, je me suis considéré comme mort.
Tout ce qui m’est arrivé ensuite, je l’ai affronté
J’étais déjà mort. ”

Voilà ce qu’il me dit, le gaillard qui ronfle comme un bébé à côté
Il a traversé une bonne partie de son continent
Il a vu des amis mourir
Des hommes se faire tuer
Et d’autres se battre

Et pourtant, ce matin il me dit:
“Le pire, c’est l’Europe”

Parce-qu’à peine arrivé, on lui prend ses empreintes
On le trimballe d’un lieu à l’autre
Dans des camps où l’hiver il n’y a pas d’eau chaude
Et pas assez de containers pour y tasser les gens
Alors les gens dorment dehors
Femmes enceintes et nouveaux-nés compris
Et puis c’est la police, partout, tout le temps

Un jour, on le jette en prison pour simplement avoir été l’ami d’un homme
Qui aidait des petits à poursuivre leur chemin
Pas un passeur, un mec qui donnait les bons plans en échange d’un peu de fric
De quoi se payer un kebab
Condamné à 18 mois, il aurait dû en faire 11 pour bonne conduite
Mais il semblerait qu’il ait été
Oublié
Des autorités
Alors il en a fait 23.

Il dit que ça passe vite, que la maison est bonne
Il travaille, il réapprend le français, il bavarde, il se forme
Il dit qu’il préfère faire dix ans de prison ici, plutôt que quelques mois chez lui
Et puis chez lui, ça n’existe pas
Bien sûr que ça lui manque, que c’est beau là-bas, qu’il voudrait revoir ses parents
Mais c’est impossible
S’il s’en retourne on le tuera
Il a osé manifester son mécontentement. Il a osé dire qu’il voulait un autre président
Qui ne courbe pas l’échine devant un petit français arrogant et imbécile
Un président digne, sans concession avec l’armée et les grandes entreprises qui continuent le pillage
Au nom de la modernité

Au nom de quelle sorte de progrès abandonne t’on les Hommes?
C’est trop simple, presque naïf, n’est-ce pas?
Il se trouvera bien quelque ingénieur des sciences polytechniques pour m’éduquer
Un militant qui aura été de toutes les batailles, pour me traiter d’ingrate petite garce
Il y aura des savants et des ignares prêts à me tordre le cou ou à me rire au nez pour me répondre
Interpeller ma candeur et l’appeler indécence
Peut-être même y’ aura t’il quelques experts poètes pour se retrousser les manches
Et plisser leur grand front en crachotant des paroles imbibées de bon sens
“Il en faut bien des poètes qui croient sauver le monde”

Je ne le sauve pas moi
Je le déshabille de mes yeux sombres
Je l’observe depuis les cendres de mes larves émotions
J’attends que tout cela prenne feu
J’espère me réveiller éclaboussée par la lumière du soleil d’été
Agiter mon corps comme un flambeau
Devenir feu follet

2020
Jun 
8

Illustres Anonymes

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 20:10  

Ajar Aragon Aubigné
Balzac Barrico Chapsal Capote
Duras Gorki Hesse Hugo
Istrati Kessler London Lafayette
Maalouf Marivaux N’Gozi Oulipo
Picasso Poivre d’Arvor Queneau Rilke
Stendhal Sarraute Tolstoï Vannier
Woolfe Xenakis Yourcenar Zola

Noms connus inconnus
“La particule D ne compte pas
Mais L’ La Le Les, oui”
Couverture
Reliure
Papier glacé
Gravures d’origines
Titres en un mot ou bien en douze
Des tas d’histoires dans les cartons
Nettoyés numérotés classés rangés

Apprendre l’alphabet en rangeant la bibliothèque de l’école
S’attarder sur un paragraphe en ouvrant un ouvrage
S’oublier dans les pages
Se figer dans une position propice aux fourmis
(Et peut-être même aux araignées si on reste assez)

Prendre soin d’un rectangle de carton
Vestiges d’une époque dépassée
L’écorce transformée en papier qui s’émiette dans mes mains
Prendre conscience de n’être rien au milieu des géants
Perdre connaissance devant le genre humain

Trou vers tout

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 19:59  

Pierres, feuilles, papiers, ciseaux
Au milieu de Rimbaud, Jules Verne, Annie Ernaux
Il y a la page numéro quatorze de voyage au bout de la nuit
Céline côtoie Voltaire, Luis Zafon et Queneau
Panait Istrati, Octavio Paz, Victor Hugo
Freud, Lacan et Marc Levy, le marquis de Sade et Choderlos de Laclos

Des eaux fortes issus des magazines à la mode de 1911
Une tête d’éléphant, des encyclopédies classées par numéros
Un chat dort entre les rayons ésotérisme et polar
La poussière vole, la pluie joue des congas sur le toit

Dénicher un roman
Essuyer de la main les couvertures caressées par d’autres mains humaines
Imprimées du temps où internet n’existait pas
Comme un voyage immobile
Plonger dans les entrailles d’une librairie ancienne

Si je pouvais respirer tout le savoir contenu sur les étagères
Si je m’imbibais de toutes les phrases imprimées sur les pages
Je prendrais feu je crois, ou je deviendrais folle
Je sécherais dans un coin, entre la mythologie et le théâtre
Cherchant à rassembler dans un nouvel ordre, les ouvrages et leurs illustre auteur-es
Je marierais tous les Edgar que je trouve à toutes les Catherine qui traîneraient là
Je ferais converser Finkelkraut avec Moix dans un coin poussiéreux pour qu’on ne les entende pas
Je mettrai en lumière les ceuses et les ceux anonymes qui calent les rayons
Je mettrai les cruels et les sages face à face pour un duel de paroles
Je me ferais un lit avec toutes les versions illustrées du Kama Sutra

Les homo sapiens sapiens pensent
Et aiment à s’en vanter
Ils produisent des idées
Et assemblent du sens

Moi je mange des yeux le monde
Et c’est déjà assez

Bonsoir Jour

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 19:42  

Bonsoir nuit
Bonsoir sable
Bonsoir mer
Bonsoir vent
Bonsoir lune
Bonsoir toi

Il fait noir clair
Schmouch schmouch dessous les pieds
Elle est là
Lui aussi
Et elle, fait comme un grand lampadaire au-dessus de l’immense étendue
Et moi, je tiens debout en plein milieu du monde

Elle invite au silence
Il soutient doucement l’avancée
Elle continue sa danse
Il envoie ses mélopées
Elle veille et influence
Je suis, ou en tout cas j’essaie

Chaque seconde j’essaie
Quand je ne me souviens plus que je suis là pour essayer
Je plonge dans des endroits qui n’existent pas ou plus
Nuit, sable, mer, vent, lune, corps
Tentent de me ramener sur les berges de l’ici

J’observe les reflets
Je sens les grains tout frais
J’écoute les remugles réguliers de ce bout d’océan
J’absorbe l’invisible
Je bois la lumière
Je m’étire

Tout devient vivant
Avant j’étais dedans et dehors en même temps
Hier j’ai traversé, me suis laissée traverser
Tout vibre
C’est un seul mouvement

Bonjour moi
Bonjour eau
Bonjour sol
Bonjour air
Bonjour frères et sœurs humain-es et animal-es
Bonjour jour

Adieu
Temps