2022
Jan 
20

Les plaines d’Amarante

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:36  

J’ai marché tout le jour
Ailleurs que dans l’endroit où se trouvait mon corps
Maintenant vient le soir
Et je n’ai pas bougé d’ici
Je témoigne d’un dédoublement
D’une ombre plus vaste
D’un voile plus grand
J’ai marché tout le jour sans me voir vraiment
Me suis coupée du corps pour avancer
Sur une autre terre que la mienne
Pour produire

Il m’a fallut me soustraire à chaque pensée
Et chaque sensation
Pour accomplir un dixième de ma pauvre et vénérable mission
Je ne suis ni fière ni désolée
J’ai fait ce que j’ai pu
Un mouvement plus imperceptible que l’air
Une tranchée plus drue que la roche volcanique
Je ne suis pas autre chose que cette voie sur laquelle
Je tente de cheminer chaque jour

Le réveil ne sonne plus
J’ai arrêté tous ses rappels
C’est en moi-même que je dois me tenir debout
Prête à affronter le jour qui vient
C’est à moi-même que je dois me référer pour connaître la liste des tâches à accomplir
Les notes et les carnets ne disent que l’obscurcissement dans lequel me projette la modernité
Et je cède pourtant à sa loi
Je fonds dans les miasmes de cette ère
Pantelante et vaincue
Tant bien que mal je tente de me ressouvenir
De ce qu’il m’a été donné de promettre à l’aube du nouveau jour
Et que j’abandonne pourtant si tôt que je vois clair
Si j’échoue, je ne pourrai condamner que ce voile
Qu’indistinctement je repose sur mes yeux en éveil
Pour mieux me retirer

Je cherche
Et des ruines me répondent
C’est déjà une voix
Celle des pierres
Elle sait
Quelque chose que je n’ose pas encore admettre

La joie est moelle que j’arrache à la mort

Donner un os à la chienne qui jappe
Pour endolorir mon squelette
Et le retrouver un peu moins froid demain
Répéter ce geste
Ne serait-ce qu’une fois au matin
Ne serait-ce que pour me faire croire
Que le voile reste bien attaché à mon index
Et qu’il me suffit de le tendre, de le tordre, de l’agiter -la direction n’importe pas-
Pour reprendre la main sur mon corps
Que rabattre les draps sur ma tête
Peut aussi être synonyme de fête si je ne m’endors pas à poings fermés
Si je garde un œil sur la membrane cellulaire qui m’enveloppe
Si je me rends disponible pour elle
Et que nous trouvons ensemble le chemin qui
Pas à pas
Pied après pied
Pensée passable après pensée dépassée
Nous permet de déplier
La carte au trésor pas encore trouvée
La malle aux merveilles qui s’est repoussiérée

Les poumons noirs et gras
Le cœur en sauterelle
Le vaisseau sans lanterne
Ma capitaine s’aveugle
Elle pêche au crabe dans les grandes eaux limpides
Elle espère que le mal lui donnera raison d’avoir tant attendu
Retourner au bercail et avoir tout perdu
Revenir des enfers et croire qu’on a tout vu
Les petites misères et les puissantes crues
Jeter l’eau à la mer
Boire une tasse d’amarante
Résister aux saisons
Et à l’irrespirable
Repue de répit
Reprendre le flambeau
Surprendre la vie au saut du lit

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