2021
Nov 
14

Agrader la terre

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 18:53  

L’idée c’est de faire une soupe de courge à la châtaigne. L’idée est simple, belle, agréable à réaliser. Les étapes intermédiaires n’ont pas été conscientisées.

Ramasser les trois châtaignes qui sont dans le passage c’est une chose, les ramasser toutes, pour qu’elles ne dépérissent pas, c’en est une autre. Les ramasser presque toutes, même celles cachées sous la tôle, tombées dans les pots, à la frontière des ronces. Mêmes les vieilles, pour qu’on puisse accéder à cet endroit quand on veut, pieds nus, une fois l’été arrivé. Les ramasser. Il faudra deux paniers plutôt qu’un. Et un sac pour les jeter au sol et retirer les bogues sans mettre des épines partout, pour pouvoir marcher pieds nus, une fois l’été arrivé. Un sac, un ancien sac contenant du riz, un grand sac tissé, des gants et un couteau pour retirer les épines, pour ne pas se piquer les pieds une fois l’époque des pieds nus venue.

Trier celles qui sont ouvertes et celles qui sont fermées, ou trop plates pour être mangées, ou véreuses, ou abîmées. Jeter le bogues au feu, mettre les “marrons” dans un petit panier.

Faire chauffer de l’eau, en tremper une vingtaine. Attendre que les bouillons fassent leur tâche de décoction. Jeter l’eau marron, éplucher. La peau brune, épaisse et souple désormais, se détache sans difficulté. La peau rosée, fine mais bien accrochée au fruit est non soigneusement retirée au couteau.

Arrive le coeur du fruit fondant, légèrement sucré. Les châtaignes que l’on mettra dans la soupe.Y ajouter la courge, revenue dans l’huile parmi l’ail et l’oignon. Un bouillon Mixer le tout.

Cela m’aura donné une heure et demie de travail relié. Une heure et demie alors que le projet s’était fomenté en moins d’une seconde dans mon esprit. Il en va de même pour l’idée d’amender la terre. Avant de répartir les précieurses déjections, il m’a fallu casser les branchages. J’ai pu en tirer trois cagettes de petit bois qui servira à allumer le poële quand il aura fini de sécher. Retirer les feuillages, rerépartir la terre. Retirer les bouts de bois qui servent de passerelles, retirer les restes d’herbes et de plantes. 

Pour aller chercher le crottin dans le champ d’à côté, il faut vider la brouette, remplir du bois coupé mais mouillé par la pluie, trempé à force de ne pas sécher car la brouette, c’est le principe, est creuse, et l’eau s’y accumule. Mettre le bois à sécher, tant qu’à faire en profiter pour ranger celui qui traîne sur le terrain. 5 cagettes. Et faire de la place pour ranger les planchettes qui servent de passerelle. Retirer les orties, qui bouchent le passage et s’enroulent autour du fer. Traverser le champ et s’arrêter chaque fois qu’une tâche brune est sur le chemin. La bouse. Dessous, l’herbe est presque jaune fluo. L’endroit où s’accumule le crottin des chevaux est plus loin, il est déjà en partie composté. Je me demande si j’ai le droit de l’utiliser. Si cet or noir (qui n’est somme toute que de l’herbe mâchée) appartient à quelqu’un…Ici, tout appartient à quelqu’un. On ne pique pas les fruits sous les châtaigners d’autrui. Peut-être qu’on n’enlève pas le crottin qui ne vient pas de nos bêtes..J’en prends un peu (6 brouettes) avec ma fourche et retraverse en direction de la maison.

J‘ai déposé sur la terre un grand manteau d’herbes sèches pour recouvrir la couche de crottin de cheal et de bouse de bovins que je venais d’y mettre. J’ai refait les gestes de mes aïeux. J’étais fière, de remettre de la terre par-dessus de la terre. Elle était noire et moelleuse, confortable sous sa couverture de feuillages. Je l‘ai bordée comme une enfant à qui l’on dirait bonne nuit, en posant un baiser sur son front frais et parfumé d’odeurs sauvages. Avant que l’hiver vienne. Avant que ne vienne la nuit.

C’était l’heure bleue quand tous les soirs j’ai donné un peu de mon temps et de mes bras à celle qui m’a en partie nourrie cet été. Je l’ai amendée, agradée. Les néo humains qui ne parlent qu’en anglais diraient “upgrader la terre”. L’améliorer. Et c’est vrai qu’il y a une tentation de la rendre meilleure, plus productive et plus belle, c’est vrai qu’il y a cette pensée du voisinage jaloux de voir comment les pois et les tomates, les courges et les patates, les framboisiers et l’amarante se marieront l’année prochaine grâce à l’apport que j’ai fait à la fin de l’automne.

Je sais aussi que je ne sais rien, et que ce même voisinage pourrait tout autant rire de voir des branches mortes joncher le sol vide. L’idée me vient alors de faire de ce jardin un jardin pour tout le monde. Un jardin par celleux qui voudront bien me filer la main si j’ose la leur tendre. Et ce ne serait pas de la jalousie mais de l’envie qui naîtrait du coeur des autres. Pas de l’envie envieuse. De l’envie généreuse. Un désir de multiplier les dons qu’à plusieurs nous avons et dont chacun peut tirer bénéfice sans rien prendre à personne.

Enrichir le terreau. Agrader la terre.

Remercier. Agradecer