2022
Jun 
2

Dans l’arène

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 12:59  

Quand il pleut à Marseille, mieux vaut être à l’abri. La ville ferme ses portes derrière un rideau gris. Autowash général sur le bitume et les arbres, sur le mobilier que l’on appelle urbain.

Michel a trouvé refuge dans le parc de la rue Lozias, parce que justement, là-bas, le mobilier urbain est plat. C’est plus facile pour dormir.

Ça doit être le destin, la chance, ou Dieu si ça se trouve (pourquoi pas), qui l’a mené jusque là, une flasque de whisky dans chaque poche (quatre, si on compte celles du jean). C’est un coup de chance, ça oui, parce que Dieu sait pourquoi (encore lui) il y a une bâche au-dessus de la table et des bancs. Ça fait trois heures qu’il se biture gentiment la gueule, au sec, et ce qu’il s’est enfilé, c’est rien comparé aux litres de flotte qui tombent du ciel. Des torrents, un déluge. Et la bâche bleue qui protège l’espace pique nique du parc se creuse peu à peu. Une grande flaque, une mini piscine qui menace d’exploser au-dessus de sa tête. Mais Michel s’en fout. Il chante à tue-tête les tubes qui passent sur sa petite radio à piles. Ça lui rappelle sa jeunesse.

Il est 21h32. Antonin aimerait bien se mater tranquillement le dernier épisode des Peaky Blinders. La pluie, c’est un bon décor pour les gangsters d’Irlande. Mais y’a un gars qui braille, dehors, et impossible de l’ignorer. Céline Dion, Patricia Kaas, la compagnie créole, tout y passe. Le gars est branché sur Nostalgie et il s’en donne à cœur joie.

La musique des années quatre vingt, immanquablement, ça lui rappelle les fêtes de famille à Antonin. La mamie qui se décide à faire quelques pas de valse pour se dérouiller, l’oncle raciste et libidineux qui se lance dans des tirades scabreuses sur les députées femmes qui font bien mieux le méange que les hommes. Ça ne lui manque pas.

Par ennui plus que par curiosité, Antonin sort sur son balcon pour observer l’énergumène à la voix Jack Daniels. Quelques notes de guitares familières s’élèvent, et traversent les trombes d’eau. La Corrida résonne au milieu du parc. Michel chante Cabrel et se lance dans un combat de toréador foireux avec le vélo à roulettes qui traîne là. Est-ce que ce monde est sérieux? Il a ramassé une branche et s’apprête à lui faire sauter la sonnette. Je vais pas trembler devant ce pantin, ce minus! C’est quand même pas une bicyclette de gosse qui va avoir le dessus sur lui, non! Est-ce que ce monde est sérieux?

N’empêche, ça drache encore, et la bâche lâche.

Ça lui cloue le bec au gars. Pour un temps au moins.

Va savoir si c’est le destin, la chance ou Dieu, mais la radio diffuse, pile à ce moment-là, Dans le port d’Amsterdam.

Antonin repense aux fêtes de famille et à son grand-père qui montait sur la table pour crier son amour de Brel, de la bière et des femmes. Il se dit qu’il aimerait bien que quelqu’un s’occupe de lui s’il se noyait dans l’alcool, trempé jusqu’à la moelle.

Il attrape une serviette et rejoint l’arène. Ce soir, un gangster irlandais-andalou dormira dans son salon.

 

De l’air

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 12:56  

Il y a l’air sur ma peau tu vois

L’air qui caresse mon dos

Qui fait se soulever les poils des bras

Qui fait bruisser les feuilles

Qui fait remuer les rideaux

Qui fait…

Kiffer l’air qu’il fait

Pourquoi ne dit-on pas:

“Quel air il est?”

Plutôt que de parler du temps qu’il fait ou de l’heure qu’il est

De ce qu’il faut autant que de ce que l’on défait

Ne dit-on pas

Le fond de l’air est frais?

D’ailleurs dans le fond d’air

Il y a la lettre R

Ça ne s’invente pas

Ça peut pas être fait autre chose qu’exprès

D’ailleurs dans le fond, ne devrait- on pas dire

LE air

C’est masculin!

On dit bien

UN air de famille

Un air de famille

Le vent est passé entre les chromosomes et t’a distribué

La moustache de papy

Le nez de la cousine Nadège

Et cet air si mauvais qu’avait ta grand-mère quand elle trottait au pas

C’est pas solide tout ça. Pas solide du tout.

C’est diffus ça court partout

Ça fait faire des vagues et des naufrages

Ça me décoiffe et m’emmêle les cheveux

Ça n’a pas d’âge et ça ne se voit pas

Ne dit-on pas

Un petit air de je ne sais quoi?

C’est bien la preuve que c’est indéfinissable comme truc ce machin-là

On a beau inventer des mots très beaux comme

Oxygène

Ou

Anaérobique

Ça reste de l’impalpable

On aura beau construire des moulins à trois pales de cent mètres de haut

Et dire:

“Nous recyclons même la force de l’air. Nous sommes les grands génies de l’atmosphère”

Reste

Qu’on aura rien compris à l’air

Que dalle

R

De l’air, du vent

Nos paroles qui s’affichent en grand sur les façades et les écrans

Wallou

Ketchi

Nada

Du vent, de l’air

On ferait bien mieux

De s’envoyer

Dedans

Cieux assis là

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 12:54  

Cieux assis au-dessus de ma tête

Au-dessous de ma plante

Cielo sensato

Mes pieds s’impatientent de toucher

Celui qui se niche, él que canto

Dans la sensaçao lente

Dans le feu, el viento

Isla sin soledad, llena de todo

Sin nada, pajaro

Sombre lance a traves del tiempo

Te adoro y te odio

Tan sencillo, si simple, si lent

Ce si lent sigh

Je baille

Et pourtant, je t’attends

Comme la seconde messiaque avant le long sommeil

Cet espèce de champ où les voix vagabondent et se mêlent

Cenizas

Avant les songes

Une dernière et courte inspiration avant de plonger ajde jano

En un jaleo sin forma

Mer de sal y de plata

Sois celle ci

Cette seule seconde où tout vacille

Puisque je sais qu’ici

Il n’y a que ça

Il n’y a qu’auprès de toi que je peux goûter le calme

C’est pas si mal, le calme

On s’en fait toute une montagne

Et pourtant

C’est pas si mal

La calma

Manifeste à la truelle

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 12:53  

Je ne sais pas avec quoi j’écris car ce avec quoi j’écris je ne sais pas le nommer

C’est bien pour ça que j’écris pour savoir avec quoi je le fais

Pour le moment je décolle je gratte le superflu les lambeaux de poèmes superposés année après année sur les murs et les cahiers si bien qu’aujourd’hui j’habite une maison vieille de plusieurs décennies

Chez moi la mode est passée par toutes les fantaisies

Du papier peint vieillot fleuri antique romantique

Aux graffitis peinturlurés d’une ado tragi-comique

Du sobre vert d’eau sur papier de verre de la jeunesse éternelle

Aux murs blancs en placo de l’âge transitionnel

Je retire aujourd’hui les couches surannées et ne garde que la pierre

Chaque heure passée à débroussailler arracher de chaque carnet la viande remobilisable du poème

Chaque occasion de prendre en main l’outil qui me sert à rendre proprets mes écrits

Chaque image projetée de mon futur bureau

Sont des jalons de ce “pour quoi” auquel je ne sais pas répondre aujourd’hui puisqu’il me semble que tout a déjà été écrit

J’étale la matière sur les murs pour assainir

Racler le trop plein

Rajeunir les parois

Aplanir les surfaces bombées

Réinventer l’à venir dans la future pièce à habiter

J’y ferai une place pour chaque époque traversée

Et mettrai en valeur chaque étape du chantier

Dans de petits cadres en bois flottés et

Peints à la main

Après tout

Ce sont tous ces petits bouts

Qui font que j’en suis là

En obras

(oeuvres en travaux)

Work in progress

(travail en cours)

Nous jubilons

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 12:49  

Nous jus bile on

Nous ouïe main cœur bouche œil ventre sensation

Pensées éparpillées qui se réorganisent

Nous préparons le terrain des heures fertiles en récoltant dans

Creux oreilles paumes seins palais rétine estomac épiderme

Ce qui servira de matière pour la prochaine rencontre.

Rencontre de soi et de tous, de tous en soi, de soi en toustes

Coulées de noir sur blanc

Coulées de lave larmes libérées dans tympan

Sous ongles

Dans tam-tam palpitant derrière dents

Sous cornée

Bol alimentaire des mots qui descend et glisse sous la peau

Nous nous immergeons dans le jus bien frais des fruits mûris sous le soleil d’autres contrées,

Bibliothèques palmeraies

Chacun son goût, chacune sa voix

Textes aux accents d’agrumes tragiques, pamplemousse mordant, papaye pépineuse, fruit de la passion érotique, pomme brûlot, abricot-conte sucré, cerise boucle d’oreille parfumée

Nous sommes le blender et le panier d’osier

Nous marions les saveurs, nous maillons les tiges séchées, pour révéler l’ardeur, faire émerger à la surface du

Conduit auditif des

Empreintes digitales,

ventricules de la langue glandes salivaires et sébum des sentiments.

Nous pressons le jus des mots

Sacamos el jugo des palabres produits, du plaisir de dire, de la quête infinie de ce qu’il y a en soi et ce qu’il y a en toustes.

Nous cultivons les quelques eurêka qui cherchent à se frayer un passage dans les brouillons salis par les surplus de cérumen verrues croûtes de lait caillé caries métastasées aveuglements pelliculaires.

Nous sommes un corps glorieux et dégoûtant, une masse de cellules indistinctes

Nous voulons notre part du festin avant la mort

Nous voulons y goûter

Nous volons quelques secondes à l’absolu

Et c’est déjà beaucoup même si ce n’est jamais assez.

2022
May 
31

broderie

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:49  

à nos ombres suspendues

dans d’invisibles toiles

crapauds fumant jeux de bombes

enfants chauves prenant la terre pour

un palace indestructible

un imprenable royaume

 

mon coeur

une forteresse

rompu aux chants de guerre

miné de peurs

criblé de balles perdues jetées hors de ma bouche

 

je me recycle sans cesse

combien de matière perdue à vouloir transformer

coquilles d’oeufs vides

et chair de pêchers suçotés jusqu’à l’os?

dents cassées sur noyau pour délivrer l’amande

combien de vers pour ronger les immondices qui s’amoncèlent

siècle après siècle

dans des carcasses similaires

ossatures déguisées en flanelle d’ADN

maillons manquants de la chaîne

broder un même motif à travers des lignes déviées

des vies vides à lier

 

2022
Apr 
12

Faire s’exclamer la myriade

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 15:52  

J’aime le calme après la tempête
ma démarche de nonne
et le petit carnet doré sur lequel je note ce qu’il me faudrait oublier et dont je me souviens
-ne pas enfermer les jambes
-respirer
-laisser aller le bout des choses son train d’incertitudes lentes
-danser
-manger une orange glacée transformée en bougie, puis, se bander le corps avec des linges humides et chauds
-rester seule
-laisser les furies s’emparer de l’esprit un instant, les laisser brinquebaler des têtes et hurler tout leur saoul
-boire de l’eau
-replanter des fleurs en lieu et place des carnages, ne pas mettre de plaque, mais laisser les fantômes s’y balader
-prier
-prendre des vessies pour des lanternes et inversement. Foutre la cabane par-dessus le ‘quin.
-rire
-laisser les volcans redevenir des lacs, laisser le temps aux montagnes de se déformer jusqu’à atteindre l’immobilité
-marcher
-sourire au silence et au vent des entrailles, sourire aux cellules qui ont joué leur rôle d’épouvantail
-souffler
-reprendre le cours des choses du quotidien avec la stupéfaction des nouveaux nés
-écrire
-reprendre la liste des tâches et accomplir, en barrer la moitié et colorer le reste de toutes les couleurs. demain viendra même s’il fait gris à l’intérieur. ouvrir les yeux. palper le clavier. faire s’exclamer la myriade.
-remercier.

2022
Apr 
5

Force et honneur

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 19:25  

Il est 19h.
Je m’attelle à écrire
À écrire pour moi
Ne serait-ce que quelques minutes
Je me force à écrire
Je me force à sortir
Je me force à faire

Je m’efforce d’aimer

Je me force à répondre au téléphone, aux mails, aux milles messages reçus
Je me force à me taire pour laisser de la place
Je me force à manger
Je me force à boire

Je m’efforce de vivre

Je me force à comprendre
Je ne me force plus à apprendre quoi que ce soit
Je me force à ne pas écouter les nouvelles
Je me force à ne pas regarder la télé

Je m’efforce d’avoir une hygiène

Je me force le matin
Je me force le soir
Je me force en début d’après-midi
Je m’efforce de ne pas travailler

En vain

2022
Mar 
29

si tel est le cycle

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 19:47  

De nouveau le fantôme de la menthe
En petits fagots secs qui craquent entre mes doigts
L’ortie et la chélidoine sont partout chez elles
J’inspecte le petit domaine
Je suis leur courtisane
Je manigance pour que les iris, la roquette et les framboises aient plus de place
Pour mon seul plaisir
Et aussi par souci du respect de l’ordre
Humains et broussailles doivent cohabiter
Les taupes ont eu tout le loisir de creuser leurs galeries cet hiver
Et nous n’avons rien dit, nous ne protestons pas
Après tout elles me rendent un fier service en retournant la terre à ma place
Elles la rende meuble, propice à remplir les petits pots pour les semis
Bientôt il faudra tondre très régulièrement, ou bien nourrir les juments avec l’herbe du chemin
Bientôt je retirerai les ronces de la douche d’été
Nous cuisinerons dehors
Bientôt n’est pas encore arrivé
Je profite de la chaleur du feu, de l’odeur de fumée mêlée au printemps qui repart
Je profite que les arbres soient encore décharnés pour observer les sitelles crépiter à la cime
Se pourrait-il que le bruit du clavier soit une part de mon chant?

2022
Mar 
22

La nuit de l’air

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 22:38  

L’ombre que je bois
Au bord des canaux
Bruit de gravillons
Projections fatales

La nuit.

Une fuite de phares indistincts
Redouter le chien caché sous le pont
Dans l’ornière
Je me retourne. Une fois.
Et continue.
Il n’y a pas de plages secrètes dans mon dos
Le parking est désert
Le parfum exhalé par la vue d’un magnolia qui ne fleurit qu’en terre acide
J’étonne mon monde
Pour ne pas le voir sombrer trop bas
Je surprends mon petit hémicycle en pleine fête des angoisses

Femme qui court devant ses peurs
Jette toi dans le lac
N’attend pas que la digue cède
Plonge sans craindre le rocher
L’eau protège des fracas du crâne
La surface est dedans
Il y a de l’air partout