2022
Aug 
30

Danseruna 2022 – Please clean up the floor

Filed under: Journal Débordé — fabuleta @ 16:19  

C’est la récré de fin d’été

Le grand ménage

Le cleaning space de l’année

Le nettoyage des “il faut” et “on doit”

Danseruna

Une fois l’an se retrouver là

Pour être sûrs de débuter la rentrée du bon pied

Danser les ruines

 

Lâche les rames, laisse toi couler

La piste est un chaudron magique qui te permet de nager

Si tu te sens perdu dans le nocturne océan qui se crée

Regarde la voile diaphane au-dessus de ta tête

Flottante, éperdument tendue entre la terre et la toile du ciel

Elle respire

Elle respire au même rythme que le diaphragme de la foule

La foule qui se fait et se défait

Petite bombe à retardement qui s’immobilise ou se laisse tomber

D’un coup d’un seul

 

De cent corps n’en faire qu’un

Oser se poser nu, debout face à l’inconnu

Les bras comme seule proue

L’axe de l’autre comme un mât autour duquel naviguer

Pas à pas

Laisser dans les abysses l’ego perclus de doutes

 

Qui danse quoi?

Avec quelle étiquette t’arrives et vers quelle matière tu dérives?

Le pied que tu poses c’est un tango ou une mazurka?

Le porté que tu proposes c’est du contact ou c’est n’importe-quoi?

Ça ne ressemble à rien de connu

C’est une presque bourrée, un quasi cercle, une mazurkiche

Tambouille savoureuse, soupe cosmique, bouillon brouillon sans chorégraphie prédéfinie

Et tant pis si parfois ça flotte et que ça n’est pas parfait

Que les blancs sont trop blancs et les trad un peu crad

Parfois c’est le bazar et on ne comprend plus rien

 

On

Pronom indéfini qui ne dit rien de précis

On

Qui se noie dans le monde sans avoir rien dit de lui

Je joue du nous que je vois en vous

Mon nous n’est peut-être pas le tien

Mais même si nous ne nous nouons pas tous.tes au nous de la même manière

J’aime imaginer que les jeux que nous créons nous aident à tisser des liens

 

Combien de temps tient-on dans une ronde endiablée?

Combien de fois faut-il que nos pieds frappent le sol pour alimenter le feu

D’une brûlure qui ne laisse d’autre cicatrice que le souvenir incandescent d’une nuit de liesse?

Nous ne brûlons pas

Nous suons

Les gouttes de transpiration qui coulent le long des dos nuques cuisses

C’est de l’eau sacrée

Remplie du sel de nos danses

Une prière pour exister

Pour affirmer une fois encore, une heure de plus

Nous vivons

Nous vivons

Nous sommes traversés

À chaque seconde

Par un feu plus profond

Par une soif plus vive

Par une joie plus pure

 

L’innovation dont nous faisons preuve chaque soir

Est plus inventive et mille fois plus puissante que toutes les technologies qu’on nous somme d’avaler

Ce que nous ingurgitons à chaque goulée

C’est de la came 100% organique

Bouche ouverte, portes entrebaîllée des émotions baillonées

Paupières recouvrant délicatement le globe oculaire, yeux ouverts au dedans

Regard membrane plus ample que le costume de peau que je porte

 

Désaffecter le regard

Désinfecter les plaies des mémoires salies par des siècles de domination

En redonnant au corps sa juste place

Véhicule terrestre capable de prouesses pas encore découvertes

Réceptacle de désirs de toutes sortes

Lieu du soin et du carnage

Grand organisateur du chaos

Usine à transformer le pourri en puissante harmonie

 

Nous, nous ne feignons rien

Nous accompagnons les élans qui viennent de toutes parts

Nous repeuplons de nos pas puérils les forêts de sens abîmés

Nous rallumons l’incendie en emmêlant les lianes de nos jambes

Jusqu’à l’étincelle

La friction des chaînes de mains mêlées ne nous contraint pas

Nous nous ensorcelons nous-même

Nous croyons aux histoires qui se racontent dans les corps

L’espace d’une mélopée qui s’étire jusqu’au délire

Ou dans l’étourdissant silence qui succède à l’extase

Nous déployons les liens tissés dans d’obscures granges et dans des MJC

Sur des parquets montés en une journée en plein cagnard

Ou dans les salons carrelés des particuliers

 

Ce château fût notre domaine durant une semaine

Nous y faisions résonner les rythmes d’anciennes ritournelles

Pour les redorer du blason des airs actuels

Nous dansons sur les ruines du vieux monde

Nous dansons pour réveiller le magma en fusion des pierres arrachées aux montagnes majestueuses

Nous dansons pour dépoussiérer la mémoire funeste des carrières

Pour éteindre définitivement en nous l’aspiration des cendres capitalistes

Nous ne capitulerons pas

Nous ne céderons pas à la menace d’extinction de l’abondance

Tant qu’il y aura de bonnes danses

 

Nous travaillons ici à abolir les rangs de toutes sortes

Par l’organisation spontanée de nos bras bustes pieds

Nous travaillons en secret à l’avènement d’un métissage

Qui à première vue pourrait paraître absurde

Tant nous nous ressemblons

Cœurs couleurs âmes frontières poreuses de l’invisible qui s’incarnent en un geste

 

La tango argentin n’est-il pas la plus belle preuve de mixité?

Sorti des bas-fonds d’un port abîmé par la conquête

Descendants d’espagnols, d’esclaves africains,

De galériens européens venus tenter leur chance ailleurs

Repère de malfrats, de putes et de bandits

Flamenco et tambour, argot italien et verlan de la langue dite de Molière,

Accordéons wagnérien

Attaques au couteau des faubourgs mal famés,

Mouvement de hanches chaloupés des prostibules

Tout un vocabulaire des bas quartiers aujourd’hui symbole d’une nation

Aujourd’hui loué pour sa grâce et sa sensualité

Au-delà de ce que l’œil voit au premier abord

Ce que l’on aime ici c’est ce que la danse nous apporte de lien probable à l’autre

Cette troisième voie

Ce trouble indescriptible que les pédagogues modernes s’évertuent à formuler

Pour mieux nous faire toucher l’indicible connexion

 

Le shoot ultime

Trois minutes de transe

Une danse

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