Danseruna 2022 – Please clean up the floor
C’est la récré de fin d’été
Le grand ménage
Le cleaning space de l’année
Le nettoyage des “il faut” et “on doit”
Danseruna
Une fois l’an se retrouver là
Pour être sûrs de débuter la rentrée du bon pied
Danser les ruines
Lâche les rames, laisse toi couler
La piste est un chaudron magique qui te permet de nager
Si tu te sens perdu dans le nocturne océan qui se crée
Regarde la voile diaphane au-dessus de ta tête
Flottante, éperdument tendue entre la terre et la toile du ciel
Elle respire
Elle respire au même rythme que le diaphragme de la foule
La foule qui se fait et se défait
Petite bombe à retardement qui s’immobilise ou se laisse tomber
D’un coup d’un seul
De cent corps n’en faire qu’un
Oser se poser nu, debout face à l’inconnu
Les bras comme seule proue
L’axe de l’autre comme un mât autour duquel naviguer
Pas à pas
Laisser dans les abysses l’ego perclus de doutes
Qui danse quoi?
Avec quelle étiquette t’arrives et vers quelle matière tu dérives?
Le pied que tu poses c’est un tango ou une mazurka?
Le porté que tu proposes c’est du contact ou c’est n’importe-quoi?
Ça ne ressemble à rien de connu
C’est une presque bourrée, un quasi cercle, une mazurkiche
Tambouille savoureuse, soupe cosmique, bouillon brouillon sans chorégraphie prédéfinie
Et tant pis si parfois ça flotte et que ça n’est pas parfait
Que les blancs sont trop blancs et les trad un peu crad
Parfois c’est le bazar et on ne comprend plus rien
On
Pronom indéfini qui ne dit rien de précis
On
Qui se noie dans le monde sans avoir rien dit de lui
Je joue du nous que je vois en vous
Mon nous n’est peut-être pas le tien
Mais même si nous ne nous nouons pas tous.tes au nous de la même manière
J’aime imaginer que les jeux que nous créons nous aident à tisser des liens
Combien de temps tient-on dans une ronde endiablée?
Combien de fois faut-il que nos pieds frappent le sol pour alimenter le feu
D’une brûlure qui ne laisse d’autre cicatrice que le souvenir incandescent d’une nuit de liesse?
Nous ne brûlons pas
Nous suons
Les gouttes de transpiration qui coulent le long des dos nuques cuisses
C’est de l’eau sacrée
Remplie du sel de nos danses
Une prière pour exister
Pour affirmer une fois encore, une heure de plus
Nous vivons
Nous vivons
Nous sommes traversés
À chaque seconde
Par un feu plus profond
Par une soif plus vive
Par une joie plus pure
L’innovation dont nous faisons preuve chaque soir
Est plus inventive et mille fois plus puissante que toutes les technologies qu’on nous somme d’avaler
Ce que nous ingurgitons à chaque goulée
C’est de la came 100% organique
Bouche ouverte, portes entrebaîllée des émotions baillonées
Paupières recouvrant délicatement le globe oculaire, yeux ouverts au dedans
Regard membrane plus ample que le costume de peau que je porte
Désaffecter le regard
Désinfecter les plaies des mémoires salies par des siècles de domination
En redonnant au corps sa juste place
Véhicule terrestre capable de prouesses pas encore découvertes
Réceptacle de désirs de toutes sortes
Lieu du soin et du carnage
Grand organisateur du chaos
Usine à transformer le pourri en puissante harmonie
Nous, nous ne feignons rien
Nous accompagnons les élans qui viennent de toutes parts
Nous repeuplons de nos pas puérils les forêts de sens abîmés
Nous rallumons l’incendie en emmêlant les lianes de nos jambes
Jusqu’à l’étincelle
La friction des chaînes de mains mêlées ne nous contraint pas
Nous nous ensorcelons nous-même
Nous croyons aux histoires qui se racontent dans les corps
L’espace d’une mélopée qui s’étire jusqu’au délire
Ou dans l’étourdissant silence qui succède à l’extase
Nous déployons les liens tissés dans d’obscures granges et dans des MJC
Sur des parquets montés en une journée en plein cagnard
Ou dans les salons carrelés des particuliers
Ce château fût notre domaine durant une semaine
Nous y faisions résonner les rythmes d’anciennes ritournelles
Pour les redorer du blason des airs actuels
Nous dansons sur les ruines du vieux monde
Nous dansons pour réveiller le magma en fusion des pierres arrachées aux montagnes majestueuses
Nous dansons pour dépoussiérer la mémoire funeste des carrières
Pour éteindre définitivement en nous l’aspiration des cendres capitalistes
Nous ne capitulerons pas
Nous ne céderons pas à la menace d’extinction de l’abondance
Tant qu’il y aura de bonnes danses
Nous travaillons ici à abolir les rangs de toutes sortes
Par l’organisation spontanée de nos bras bustes pieds
Nous travaillons en secret à l’avènement d’un métissage
Qui à première vue pourrait paraître absurde
Tant nous nous ressemblons
Cœurs couleurs âmes frontières poreuses de l’invisible qui s’incarnent en un geste
La tango argentin n’est-il pas la plus belle preuve de mixité?
Sorti des bas-fonds d’un port abîmé par la conquête
Descendants d’espagnols, d’esclaves africains,
De galériens européens venus tenter leur chance ailleurs
Repère de malfrats, de putes et de bandits
Flamenco et tambour, argot italien et verlan de la langue dite de Molière,
Accordéons wagnérien
Attaques au couteau des faubourgs mal famés,
Mouvement de hanches chaloupés des prostibules
Tout un vocabulaire des bas quartiers aujourd’hui symbole d’une nation
Aujourd’hui loué pour sa grâce et sa sensualité
Au-delà de ce que l’œil voit au premier abord
Ce que l’on aime ici c’est ce que la danse nous apporte de lien probable à l’autre
Cette troisième voie
Ce trouble indescriptible que les pédagogues modernes s’évertuent à formuler
Pour mieux nous faire toucher l’indicible connexion
Le shoot ultime
Trois minutes de transe
Une danse
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