2020
May 
13

J39 – Corsaires

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 18:31  

Être: radical du verbe nous sommes

En rade. Idées à fond de cale

Faire et défaire les nœuds. Dans le noir

Sauter le premier pas

Jeter le premier mot à l’encre

Donner des coups de pinceau dans l’eau

Crier le premier éclat de voix

Sonner l’alerte du haut d’un mât

Être radical : à la première personne du pluriel

Nous ramons. Vague après vague, une île après l’autre

Nous gagnons. L’assurance et les médailles

Hissons le drapeau noir

Rédigeons dans nos peaux nos mémoires

Scalpons et sculptons nos victoires

Scandons la prochaine promesse

Sonnons l’alarme à grand renfort d’ivresses

Revenir à la racine du jeu

Des briques de Lego protègent le cachot

De l’immonde mais aussi des merveilles

Je joue et rejoue les scènes

Je délivre les prisonniers, je cours après mes méchants,

Je me cache et m’enfuis, je dois leur échapper

La partie vient juste de commencer

Je

Est

une somme d’êtres

J38 – Les jours de chiale

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 18:09  

Ça arrive plusieurs fois dans l’année

Autour du jour que j’entoure d’un R dans le calendrier

J’appelle ça mes jours de chiale

Référence à un film de Christophe Honoré

 

Les jours de chiale, même si tout va bien, ça ne va quand même pas

C’est comme un vide dans l’estomac, un trou sans fin, du noir dedans

Dans la vraie vie hors confinement, s’agiter comme il est d’usage normalement

Devient une lutte contre les petites voix de soi qui disent: écoute nous, repose toi

Dans la vraie vie normalement, je dis: “il faut, je dois, grouille-toi”

“je n’ai pas le droit de me plaindre, j’ai déjà tout, bouge toi”

Bon an mal an je me dérouille, je fais en sorte de maintenir le bateau à flot

Je me force et je m’exécute, pas après pas, je ne m’écoute pas

Car en plus de produire, il faut faire bonne figure

Se morfondre pour rien, quand pourtant tout va bien

Ça ne se fait pas, socialement, c’est une bavure

Mais les jours comme ça, je me fous de tout alors

Je m’accorde quand même mes jours de boude

D’habitude, ça laisse un mauvais goût,

Surtout quand les gens autour ne comprennent pas

Ou ne peuvent pas comprendre qu’une bonne crise de chiale

Qu’une bonne journée de boude, à rien foutre, que dalle

Ça vaut toutes les tentatives de me remonter le moral

Je me laisse couler, je ne coche aucune case sur mon agenda

Je ne fais que ce qui me plaît, je me laisse même dépasser par les voix

En fait elles m’appellent juste au calme, à relativiser l’importance de mes choix

“Détends toi, c’est pas si grave, t’as vu comme il fait beau?”

“Tu préfères rester enfermée et t’endormir après chaque page tournée?”

“Fait, fait donc ma belle, fait comme ça petite fée”

En fait, les jours de chiale, je suis vachement plus sympa avec moi

Je sais que ce n’est qu’une passade, que c’est comme tout, que ça passera

Je cherche pas à changer, je me traîne et j’attends que la vague reprenne

Sa forme son allant son goût salé sa nature d’océan

Peut-être que le grand rythme du monde est encore calqué sur l’ancien modèle

Il accélère la cadence,il s’agite et il gronde, prêt à jeter l’éponge,

Il ne s’arrête pas aux signes de fatigue que la machine donne

Il continue sa course folle, engendre son propre trépas

Il s’achète une bonne conscience en s’achevant à la tâche

Finalement c’est peut-être une aubaine si tout enfin se dérègle

2020
May 
12

J37 – Bourdonnements

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 22:24  

Depuis un mois, j’ai pour voisine deux juments

Deux belles et vieilles juments.

Qui a dit que la vieillesse était un naufrage?

Ma grand-mère perd la tête depuis une mauvaise chute

Ma mère a accueillie sous son toit celle qui lui donnait le sein

Maintenant c’est elle qui lui donne de la soupe, et l’ancienne de dire:

“Bah, j’aime pas ça. Je peux regarder la télé? Oui, oui, t’inquiète pas, je me suis déjà lavée”

Ainsi les rôles s’inversent. Et nous,

À l’égal des cycles qui sans cesse se répètent

Nous recevrons bientôt la monnaie de notre pièce

Ce matin j’ai été nourrir les chevaux. C’est mon nouveau rituel quotidien.

Moi qui admire ces bêtes, autant que je les crains

(peut-être à cause de cette histoire d’arrière-grand-père qui avait pris un coup de sabot dans la tête) Va savoir.

Toujours est-il que maintenant, les bêtes et moi, on se fait des câlins.

L’orage attire les mouches et autres bestioles suceuses de vie

Les pauvres juments ont des plaies boursouflées et toute gorgées de sang

Elles ont beau taper du pied, remuer sans arrêt la crinière, fouetter l’air avec leur queue

Les insectes s’accrochent et creusent dans les plis de leurs robes des reflets rouges purulent

J’ai mal pour elles. Alors j’attrape un gant imbibé d’huiles essentielles et je les badigeonne

Je leur parle, je les caresse, j’espère éloigner, même pour quelques instants,

L’incessant bourdonnement de ce festin d’insatiables

Quant à moi, je découvre chaque jour de nouvelles vergetures.

Ma peau de jeune femme, déjà se craquelle, déjà presque se fane.

Et pourquoi cela devrait-il m’attrister?

Tant que la fleur ne pourrit pas, que l’on change l’eau du vase

La couleur se transforme, et on peut la sécher

C’est de la faute de celles des publicités si de nos peaux vieillies on ne fait pas des bouquets.

Même le môme en EHPAD, qu’est devenu ridé, fripé jusqu’à la moelle

On ne veut pas se rappeler, qu’il a joué aux billes, qu’il a fait l’amour et peut-être même des enfants

Qu’il a changé, nourri, grondé, gardé, aimé, chéri, bref, qu’il a éduqué

On préfère se dire qu’il vaut mieux partir vite, et en bonne santé

Qu’il faut faire de la place, qu’ils n’ont plus rien à dire, une fois que leurs dents sont tombées

Ma grand-mère a 92 ans (et deux dentiers)

Elle perd peut-être la boule depuis cet accident

Mais mon aïeule est un trésor, une femme forte, déterminée

Elle se souvient du dégoût des topinambours et du bruit des avions

Elle se rappelle la faim et comment elle avait protégé son frère malgré sa peur

Je pense à tous ceux-là à qui on va, enfin, accorder le droit de voir leurs fils et leurs voisins

Et j’espère qu’en leur parlant, en les caressant, chacun de nous éloignera, définitivement

L’incessant bourdonnement de ce festin d’insatiables

La vermine de ce gouvernement

J36 – Conter les jours

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 22:09  

Si mes calculs sont bons

(Ce qui, pour celleux qui me connaissent relève à peu près de l’exploit)

Dans 20 jours, nous sortirons

Enfin, peut-être. Sûrement pas tous mais sans doute à certains endroits.

Les enfants retourneront à l’école, en rang échelonnés

D’abord les maternelles et les CP, ensuite les lycées, les collèges, et le reste des cycles 2 et 3

Pas plus de quinze par classe. Blanquer, courage: il va falloir embaucher!

En attendant, je remâche mes bribes de poèmes quand je marche

Je compte mes pas, ma respiration, et mesure la course du soleil

L’histoire du grand soir de l’humanité est la même

Depuis des centaines et des centaines d’années

Si ce n’est des milliers.

Le temps doit nous être conté.

Quand j’ai quitté Grenoble, le magnolia du parc était en fleurs

Hiver léger printemps précoce

Fin mars j’ai traversé l’Isère, la Drôme, l’Ardèche du nord

Quelques matins plus tard, il y avait de la neige.

Plusieurs semaines après j’ai commencé à ramasser des herbes pour les faire sécher

Et compléter nos plats de salades sauvages: violettes, plantain et achillée

Aujourd’hui tout est jaune

Pissenlits dents de lion chélidoines et genêts

Renoncules rampantes vulnéraire et chou kale

Le lilas habille les chaumières et embaume les chemins

Le cerisier a perdu ses pétales

Le pommier précède le tilleul mais succède au romarin

Quand je suis partie c’était encore l’hiver sur le calendrier

Je n’ai pas pris d’espadrilles ça aurait trop attiré l’été

J’ai eu le temps de voir une lune blanche deux lunes noires

Et parce-que les hommes ont décidé d’être maîtres de la lumière

J’ai vu la nuit se raccourcir à cause du changement d’horaires

J’ai vu l’herbe coupée pousser, recoupée à la serpe puis croître de nouveau

J’entends la sérénade des grenouilles et oiseaux

Je sens le vent me caresser l’épaule, la pluie mouiller mon front

Elle est vive ma planète, il est sauf mon giron

La Terre est mon école, ma montre et ma boussole

Ma grande horloge, mon médaillon

Personne ne me sonne, et personne ne m’attend

Seuls mes poumons me donnent le rythme du compas

Sans horaires ni salaires, sans minuscules soldats

Ma classe est planétaire, personne ne marche au pas

Personne ne me note, personne ne chronomètre

Je me détends. Le temps est suspendu.

Les histoires du soir ont de beaux jours devant elles.

J35 – Les bruits du monde

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 22:02  

Je me suis éloignée des bruits du monde

Pour prendre la température de ce qui bout en moi

Pour les oublier plus que quelques secondes

J’ai avalé les épisodes de la Casa

Le rôle du papier, et le règne de l’argent roi

Contre l’auto-détermination du peuple à se penser hors des lois

Le retour à la réalité s’impose et me donne les foies

C’est comme un mauvais film, le pire du pire du cinéma

L’acteur principal a fait ses gammes à Paname

Avec celle qui maintenant est notre première dame

Espérons que c’est pas avec cette came-là qu’en 2022

Ils gagneront un Oscar, un Grammy ou un Goya

Voilà le scénar

Une précision pour les férus de science-fiction: ceci n’est pas un bobard

Oui, je sais, c’est gros mais c’est comme ça

À l’Élysée ils n’ont pas réussi à se payer Coppola

“Une chauve-souris et un pangolin chinois

Sèment la terreur sur toute la planète

Tellement que même les pays du nord s’arrêtent

Ce n’est pas la peste ni le choléra, c’est un petit nouveau:

Appelez le corona

C’est un virus apparemment bénin mais très dangereux

Qui oblige les dirigeants à placer leurs pays respectifs sous quarantaine

Plutôt rétifs à l’idée de ne plus faire de chiffre

Ils sauvent la face et prennent un risque:

Protéger la population humaine”

Les théories complotistes vont bon train

“C’est une guerre bactériologique

Un virus lâché pour décimer la majorité”

Ça n’est pas logique, se disent les analystes

Pourquoi tuer aussi bien les pauvres que les riches?

Les radios diffusent le nombre de morts

Et les politiciens annoncent de grands efforts:

3 milliards de fonds débloqués. Non! 45! Non 300!

On se demande bien d’où vient tout cet argent…

Et surtout où il va!

Dans les respirateurs, les masques, les sur-blouses, les gants?

Vous n’y êtes pas, mes amis, cherchez un peu

Les salaires? Le service public? Les associations?

Vous délirez, très chers, remettez les pieds sur terre!

Il s’agit de la France tout de même, notre belle nation

L’entreprenariat, l’économie ultralibérale, l’innovation!

Vous me décevez, après tout ce qu’on vous a enseigné à l’ENA

Non? Toujours pas?

Enfin…tout le fric revient dans la poche du patronat!

La fièvre et les dividendes augmentent au même rythme

Y’a bien que le CAC40 qui ne sait plus où il va

Mais Cocorico Alleluïa! Emmanuel est là.

Il n’y a guère que la croissance

Pour faire face à l’indécence des virus

Alors à la rentrée c’est décidé, nous travaillerons plus

Plus, plus, beaucoup plus que ce que vous avez imaginé

Beaucoup beaucoup plus que ce que l’Europe nous a autorisé

C’est le chaos, profitons-en!

Les droits sont en soldes, faisons tout passer maintenant!

Adieu retraites, ce fut un beau combat

Adieu grenelles, bonjour les scélérats

Papa, papa, promets-moi qu’on parlera

La prochaine fois que tu voteras

J33 – Les oiseaux de passage

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:57  

Hier soir j’ai lu ça dans “Le chasseur d’histoires” d’Eduardo Galeano

La première grève
Elle éclata en Égypte, dans la Vallée des rois, le 14 novembre 1152 avant J.C
Les protagonistes de la première grève de toute l’histoire du mouvement ouvrier furent les tailleurs de pierre, les charpentiers, les maçons et les dessinateurs qui construisaient les pyramides et qui restèrent bras croisés jusqu’à ce qu’ils aient reçu les salaires qu’on leur devait.
Les travailleurs égyptiens avaient conquis le droit de grève longtemps auparavant. Ils avaient aussi un service médical gratuit pour les accidents du travail.
Jusqu’à tout récemment, nous ignorions tout ou presque de cela.
Sans doute à cause de la peur que l’exemple se propage.


Il nous faut arracher les bribes d’égalité
Aux griffes acérées des rapaces aveugles
Si futiles que puissent leur paraître nos actes
Si dérisoires nos tentatives de vivre libres
Dans les interstices de l’histoire
Ce sont les pauvres qui dominent
Les hors la loi, les sans le sou
Toute cette masse à la marge
Qui trime, qui s’entasse et qui beugle
Cette horde indocile qui réclame son dû
Et nourrit, soigne, nettoie, habille ceux du sommet

Nous ne sommes pas aveuglés par l’or car nous n’en avons point
Par contre, il se pourrait que bientôt nous ayons faim
Ce ne sera pas la peine de nous jeter du pain ou des brioches
Nous aurons pris les fourches, nous aurons pris le temps, et peut-être des pioches
Nous serons phosphorescents dans chaque rue et à chaque rond-point
Nous serons corbeaux, milans royaux et ridicules moineaux
Pigeons affamés en quête de vos miettes
Tu le sens le vent qui vient?
Il nous gonfle les ailes, il nous pousse dans le dos

Nous sommes à la hauteur autant qu’ils sont zélés
Durs à la tâche, ne comptant pas les heures, dévoués,
Assidus et certains de notre bon droit de disposer de nos corps
Depuis notre naissance et jusqu’à notre mort
Nos élans poussent dans les interstices
Ce sont des charognards, nous construisons des nids
Piochant quelques cheveux sur le crâne des élus
Ramassant ici et là des bribes de pensées à se repartager
Des stratégies de chasse, des pièges à éviter, à l’affût, aux aguets
Pour pas se prendre le bec entre oiseaux de passage, car
Nous autres volatiles, avons la sagesse de nous savoir mortels
Et d’ainsi vouloir faire de cette courte période sur terre
Un endroit digne du ciel ou en tout cas meilleur pour ceux et celles
Qui demain, couvriront la distance qui sépare l’ouvrier du puissant pharaon

J32 – Toutes les musiques que j’aime

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:52  

Les musiques que la radio diffuse me filent le bourdon
Même quand ça se veut joyeux, ça me fait l’effet d’une bande son
De fin du monde
Un truc qui dirait: souvenez-vous, la vie sur Terre était si belle
Et les humains si pleins de potentiels…

Résiste de France Gall me rappelle à quel point nous avons failli
À leur mettre des bâtons dans les roues, à relever le défi
Décennie après décennie, on s’est laissés faire
Et maintenant que la so called première puissance mondiale est affaiblie,
Entendre New York State Of Mind me tord un peu le bide, c’est clair

Malgré tout j’aime bien cet état de nostalgie
Je me sens tout à coup plus sensible et lucide,
J’arrête de considérer le cours du temps comme un acquis
Je me repositionne en tant qu’humaine, fragile
Un petit bout de rien dans un coin de paradis

Brassens, Lhasa et Brel comme des balises quotidiennes
À côté du Happy de Colin Pharell et de mon ami Alain
Ça fait des étincelles, ça me remet le corps en lien
Je chantonne un air de tango, des cantiques grégoriens
Je redécouvre Gaston Couté, et puis la maloya d’ébène

Je ne danse plus depuis que je n’ai plus d’enceinte
Et l’espace chargé de belles compagnies
Cathy me réveille avec sa techno de balcon
Simon m’envoie sa voix, et Delphine sa complainte
François veille à ce que je ris le matin le midi et puis le soir aussi

Je me fabrique des liesses, dans l’antre cérébrale
Des cérémonies païennes pour recouvrir les drames
Ça ne les efface pas, ça les rend même palpables
Alors je les intègre à mes graines de folie
Ce sont elles qui savent comment surfer la vie

Et si on s’inventait de nouvelles chansons
À base de tambours et de chants compagnons
Si on se réenchante avant les grands canons
Qu’on se trompe, qu’on se plante, qu’on retrouve l’unisson
Et si on écrivait un nouvel hymne pour de bon?

J29 – Attention chien méchant

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:49  

Quand je passe près des barrières qui entourent les maisons

Les chiens qui sont derrière aboient

Les maîtres crient à leur tour des noms

Poppy, tais-toi!

J’ai dû dire trois fois ta gueule

Et sept fois quel menteur

Quand le président a parlé à la radio-télévision

On devait être un paquet à avoir les mêmes réactions

Je suis tombée à la renverse (toute clown que je suis)

Quand il a prononcé le prolongement fatal. Un mois

Merde alors, il a pas peur lui!

Le feu doux sous la cocotte minute sociale, il connaît pas

Peut-être qu’il ne sait pas, que 60% du discours

Passe par le corps et par la voix

Et que par conséquent, déblatérer de belles paroles

Avec un air grave et concerné, ne parvient pas totalement à nous enfumer

Il faudrait qu’il revoit sa copie, mais il a dit, alors il le fera

J’ai toute confiance aveugle, j’ai toute bonne foi

Mon maître me fera taire si je dépasse les limites

Je ne gueulerai pas, promis, ou je m’en mordrais les doigts

Alors bien sûr je vais attendre bien sagement

Qu’on me donne ma pitance, ayez pitié

Monsieur Macron, si vous voulez, je vous fais un atelier de mise en voix

Et quand il fera ses vocalises

Clac: je lui gniaquerai les mollets, le nez, et peut-être le foie…

J28 – Le moulin de Mandy

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:48  

Nettoyer les béalières du moulin de Mandy

Retirer les troncs, les branches, les feuilles mortes et la vase

Permettre à l’eau de circuler à nouveau

Rendre hommage au travail des hommes

Qui inventèrent la roue, les barrages, la levée

Les aqueducs et le battage du grain

Deux heures après notre premier passage

L’eau avait repris son cours et sa couleur normale

Il suffisait alors de retirer les cailloux

Qui empêchaient encore, et retenaient déjà

Les restes de l’automne.

Il a suffit de rien

D’un peu de folie et d’un zeste de courage

Pour se munir d’un bâton et remuer le fond

Les dépôts stagnants de l’histoire industrielle

Il a suffit de constater que l’eau débordait de son lit

Et que par conséquent sa force fuitait

Ça n’était pas vital, mais ça ne coûtait qu’un temps

Une poignée infinitésimale par rapport au vivant

Par rapport au regain d’énergie constaté dans les flots

Un sacrifice bénin en comparaison du plaisir

De voir surgir l’eau claire de l’autre côté du tuyau

Poussant les feuilles, bravant les obstacles de béton

Et coiffant au poteau les dénivelés,

Insaisissables pour nous, qui marchons sur nos deux pieds

Il fallait voir courir le courant libéré

Avalant les centimètres, ravinant les parois terreuses

Et noyant au passage les habitants des sous-sols

Le réservoir s’est à nouveau remplit,

Grossissant les remous de la rivière

Multipliant les apports de sa triple confluence

Est-ce que le bruit suffira à réveiller les meuniers que nous sommes?

Il y a une force dans le flux de l’eau

La même qui coule dans nos veines

Une force contenue, retenue

Étudiée pour faire tourner les moulins qui jadis nourrissaient le village

Chacun apportant le fruit de sa récolte, chaque famille repartant avec son butin: du pain!

Aujourd’hui à l’abandon

Notre vitesse de propagation, notre capacité au partage

Est devenue virtuelle.

À la nature nous avons préféré les éclairs sauvages

L’électricité, la 3, 4, 5G. Le progrès. L’immédiateté.

L’invisible qui dépasse les frontières

Les petits ruisseaux font les grandes rivières

Certains coupent les câbles,

D’autres écrivent sur les murs

D’autres encore, iront à la castagne

Moi j’écris de tout petits poèmes

En attendant la débâcle

Circule

Circule si t’es cap

Pourvu que nous soyons, chacun à notre échelle

Pourvoyeurs de libertés

Petites gouttes ou nettoyeurs

Chairs à bâtons, circulateurs

Pourvu que nous ayons la force de rentrer dans la brèche

D’inonder les espaces de notre espoir de règne

Pourvu qu’enfin cela se sache

Que le peuple est un flux plus puissant que l’élite

Que nous ne reculions plus

Que nous soyons solides, et nombreux à la tâche

Pour retirer les cailloux, un à un, à la pelle

Pourvu que nous soyons assez sages

Pour ne pas trop nous cogner dessus

Pour ramener les Bioman, les Castaner et Gargamel de notre côté, pas dessus

À nos côtés

Du côté des humbles

Humains

J26 – La pulpe du bois

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 21:46  

Toucher le bois avec la pulpe du doigt

L’enfance en copeaux

Caresser l’écorce et la peau

La sciure des souvenirs

La gosse est coriace, une vraie garce

Mais quand elle grimpe là-haut

Elle susurre aux branches ses secrets, ses fardeaux

Elle chuchote des paraboles aux intersections du tronc

C’est son refuge, son baume anti-bobo

C’est là qu’elle a appris à prendre la parole

À créer des mots, des chansons, des fariboles

C’est son perchoir magique, sa cabane, son berceau

Aujourd’hui ,elle a l’âge des héros

L’arbre est coupé, découpé

Avec les planches elle a construit

Quatre belles étagères en bois

Pour poser des histoires, des contes, des récits

Pour continuer d’abreuver de syllabes

Les veines remplies de sève

Pour se remémorer l’infini de sa foi d’infante

Pour continuer encore l’ascension de ses rêves