J28 – Le moulin de Mandy
Nettoyer les béalières du moulin de Mandy
Retirer les troncs, les branches, les feuilles mortes et la vase
Permettre à l’eau de circuler à nouveau
Rendre hommage au travail des hommes
Qui inventèrent la roue, les barrages, la levée
Les aqueducs et le battage du grain
Deux heures après notre premier passage
L’eau avait repris son cours et sa couleur normale
Il suffisait alors de retirer les cailloux
Qui empêchaient encore, et retenaient déjà
Les restes de l’automne.
Il a suffit de rien
D’un peu de folie et d’un zeste de courage
Pour se munir d’un bâton et remuer le fond
Les dépôts stagnants de l’histoire industrielle
Il a suffit de constater que l’eau débordait de son lit
Et que par conséquent sa force fuitait
Ça n’était pas vital, mais ça ne coûtait qu’un temps
Une poignée infinitésimale par rapport au vivant
Par rapport au regain d’énergie constaté dans les flots
Un sacrifice bénin en comparaison du plaisir
De voir surgir l’eau claire de l’autre côté du tuyau
Poussant les feuilles, bravant les obstacles de béton
Et coiffant au poteau les dénivelés,
Insaisissables pour nous, qui marchons sur nos deux pieds
Il fallait voir courir le courant libéré
Avalant les centimètres, ravinant les parois terreuses
Et noyant au passage les habitants des sous-sols
Le réservoir s’est à nouveau remplit,
Grossissant les remous de la rivière
Multipliant les apports de sa triple confluence
Est-ce que le bruit suffira à réveiller les meuniers que nous sommes?
Il y a une force dans le flux de l’eau
La même qui coule dans nos veines
Une force contenue, retenue
Étudiée pour faire tourner les moulins qui jadis nourrissaient le village
Chacun apportant le fruit de sa récolte, chaque famille repartant avec son butin: du pain!
Aujourd’hui à l’abandon
Notre vitesse de propagation, notre capacité au partage
Est devenue virtuelle.
À la nature nous avons préféré les éclairs sauvages
L’électricité, la 3, 4, 5G. Le progrès. L’immédiateté.
L’invisible qui dépasse les frontières
Les petits ruisseaux font les grandes rivières
Certains coupent les câbles,
D’autres écrivent sur les murs
D’autres encore, iront à la castagne
Moi j’écris de tout petits poèmes
En attendant la débâcle
Circule
Circule si t’es cap
Pourvu que nous soyons, chacun à notre échelle
Pourvoyeurs de libertés
Petites gouttes ou nettoyeurs
Chairs à bâtons, circulateurs
Pourvu que nous ayons la force de rentrer dans la brèche
D’inonder les espaces de notre espoir de règne
Pourvu qu’enfin cela se sache
Que le peuple est un flux plus puissant que l’élite
Que nous ne reculions plus
Que nous soyons solides, et nombreux à la tâche
Pour retirer les cailloux, un à un, à la pelle
Pourvu que nous soyons assez sages
Pour ne pas trop nous cogner dessus
Pour ramener les Bioman, les Castaner et Gargamel de notre côté, pas dessus
À nos côtés
Du côté des humbles
Humains
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