2020
Oct 
29

LA HORDE DU CONTRE MOUVEMENT

Filed under: Journal Débordé — lapeauaimante @ 09:12  

Nous avons fui le grand vacarme
Nous avons pris place à bord de nos corps
Pour nous extirper de la masse agitée qui secoue le dehors
Nous avons décidé d’habiter nos muscles et nos entrailles
L’organisme
Voilà notre nation
Nos hymnes empruntent leurs rythmes
Aux gargouillis des tripes et au souffle qui s’intensifie
Les rires qui fusent sont notre mélodie
La gravité est notre loi

Nous connaissons le prix d’un corps qui jouit de sa pleine puissance
Le genou qui claudique
L’axe qui bégaye
La cheville qui vacille
L’orteil qui s’oppose
L’épaule qui se braque
Le bassin qui se grippe
Ces blessures nous accompagnent
Le corps en miettes, c’est juste un rappel de nos limites
Pour autant
De tous temps la Vie nous a invités à les braver
L’humain s’invente des aventures pour continuer de se dépasser

Ainsi, hors des sentiers battus
Petit à petit
Nous avançons
Partout, là où la brèche est possible
Nous déplaçons l’impensable
Millimètre par millimètre
Nous avançons nos pions

Frôler la frange légale
Pour s’affranchir d’un idéal imaginé par d’autres
Avoir les coudées franches pour raffermir nos idées hautes
Faire de l’interstice un pays assez vaste
Pour contenir toute la diversité de la planète:

L’Everest Les animistes Les racistes
Les contacteurs en pyjamas Les vegan
Le palais idéal du facteur cheval
Les chutes d’Iguazu et du Niagara Les tangueras à paillettes
La voisine du troisième étage Colette Les folkeux à fleufleurs
Les chasseurs et les constellations Ta belle-mère
Et le pont du Gard

Faire de la frontière un espace étirable pour se placer à plein
Tenir la ligne assez fermement pour qu’elle ne puisse pas se déliter
Avec suffisamment de souplesse pour que personne ne se sente prisonnier

Perdre nos repères pas encore ancestraux
S’autoriser à s’autonomiser
Garder le strict nécessaire:
L’eau, la nourriture, la lumière
Le toucher

Se
Toucher
Se
Laisser toucher

Si ma pupille appuie sur la paupière de l’autre, est-ce que ça se voit?
Si mon dos trouve un hôte pour la seconde qui suit
Est-ce que ça pourrait durer toute une partie de la vie?

Raconte moi une histoire
Avec ton corps cosmique, avec ton corps terrestre
Avec ton corps cassé, avec ton corps debout
Avec les vertèbres de ta colonne et les alvéoles de tes poumons
Redis moi sans les mots
Le chaos qui côtoie l’ordre de tes gestes
Confesse moi par la peau
Comment tu ranges la chambre de ton bazar mental
En accord avec le reste de tes colocs organes
Dis moi dans un suspens comment tu procèdes
Pour organiser le passage d’un âge à l’autre
Comment tu navigues dans le monde intermédiaire
Entre la réalité de tes rêves
Et ta vie imaginaire

Raconte moi en corps une histoire s’il te plaît
Ouvre la mâchoire. Quand tu fermes la bouche, ça reste coincé dedans
J’ai envie de voir dans le noir avec toi
Le sol sera notre boussole
Les sens notre moteur et notre gouvernail
Viens, on va faire un tour du côté des portails invisibles
On chevauchera les steppes à dos de poisson volant
Une bête à deux dos, une vague à huit pattes
On sera l’océan
Nos corps créeront des spirales qui engloutissent les volumes
Et les grands vents qui viennent s’uniront à notre tourbillon
On balaiera les structures qui sclérosent nos désirs
On réinventera un calendrier pour travailler avec plaisir!
Seul le sang qui bat dans nos tempes nous indiquera l’heure
C’est la meute qui montre le sens des aiguilles de l’Histoire
C’est nous qui décidons de la suite
Et puisque nous sommes toustes embarquées dans la même galère
Alors autant plonger
Plutôt que d’écoper à la petite cuillère
Pour tenter de sauver le bateau qui prend l’eau de toutes parts
Autant devenir éponges transfuges transmetteuses de savoirs articulables
é p o n g e s t r a n s f u g e s t r a n s m e t t e u s e s d e s a v o i r s
a r t i c u l a b l e s
Autant continuer de se contaminer par des gestes passages
Quitte à choper la co-vibe, autant construire des passerelles pour le métissage

Alors nos noms ne seront plus nos noms
Certains mots s’oublieront au profit du silence
Les visages des vieillards seront nos monuments à la gloire des vivants
Et les images de notre enfance, instantanés pris au vol,
Seront punaisées au mur de notre instinct présent
Nous anéantirons la nécessité du rang
L’indocilité redeviendra la norme pour soutenir notre élan vital
Jusqu’à ce que l’orchestre fasse silence
Jusqu’à ce que la dernière note résonne
Nous tapons du pied
Pour résister à l’arrêt, à la sidération
Nous fabriquons notre propre musique

Peut-être qu’on peut danser avec encore plus différent de nous
Sortir du cocon, blanc et confortable
Convoquer dans nos archipels les cohortes qui chutent
Prendre pour capitaines
Des pirates altiers
Et pour seul bagage
Notre altérité

Laisser l’air et le temps faire leur travail
D’altération des habitudes
Avoir confiance dans le fait que
L’entropie est salutaire quelque part
Et qu’à un moment donné
Les loups solitaires sortent des sentiers battus
Et prennent les devants

Nous sommes cette horde en mouvement
La horde du contre mouvement

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