J50 – La d’ailleurs
Aujourd’hui j’ai rendu visite à la petite fille
Assise comme une nounouille sur le banc de la maternelle
Elle est arrivée après la sieste de l’après-midi
Dans un nuage moumou et grognon
Ça arrive parfois
Des fantômes de moi-même resurgissent
Et se glissent à nouveau dans ma peau
Et ça me fait un costume trop grand, ça flotte, ça pend
Ça fait comme un grand vide entre l’adulte et l’enfant
La d’aujourd’hui ne comprend pas ce qui lui arrive
Pourquoi tout à coup, les ombres derrière la porte lui font peur
Et quand des avions de chasse passent tout près dans le ciel
Juste au-dessus d’elle
La devenue croit qu’elle s’est perdue dans les boucles temporelles
Quand j’avais cinq ans, j’avais peur de la guerre
Mes parents avaient un magasin et les clients avaient dévalisés
Les rayons de sucre, de farine et de lait
À la télé, il y avait des bombes qui crachaient du feu, des gens qui criaient
Plus tard j’ai compris que les trous dans le palais de justice de Rouen
Ça avait été de vraies balles, et ça faisait pas si longtemps
C’était là, partout, tout le temps
Ça l’est encore. Ailleurs. À l’est, au nord, au sud le plus souvent
Ici on fait semblant de rien, on fait comme si, on prétend
Mais la petite fille mise à demeure dans mon corps
Elle ressent
Elle se réfugie dans les nuages et dans le vent
Elle écoute les oiseaux, elle caresse les chevaux
Elle attend
Qu’on vienne la chercher
Que les grands cessent de se disputer
Et la qui a un cœur qui ressemble à celui des mamans lui dit:
Le vacarme n’est pas prêt de s’arrêter
Mais moi, je vais te protéger
Je fais ce qu’il faut, je suis là
Je plonge les mains dans la terre et je lui dis
Tu vois ça, il y a quelques années, c’était du caca
Des épluchures, des feuilles mortes, des coquilles d’œufs et de noix
Et maintenant, sens, approche ton nez, t’inquiète pas
Ça sent bon hein? Et en plus
C’est là-dessus qu’on va pouvoir cultiver ce que plus tard on va manger
La magie c’est d’avoir assez de patience et de confiance dans la vie
Pour voir le pourri se transformer en trésor
On est reparties toutes les deux
Un pot de compost dans la main
Et des graines de piments rouge feu
À planter pour les jours d’après demain
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