J46 – Clark Kent aux Jeux Olympiques
Encore se raconter des histoires
Réinventer nos héro-ïnes, nos légendes canoniques
Juste en fermant nos paupières
“Tu vois quoi sur l’écran du dedans?”
J’ai posé la question à Youssef, 7 ans.
Il m’a dit : Superman! cheveux en or, blanc, grand, fort,
La trentaine, des yeux lasers et en plus il vole
Il a un costume rouge et bleu, il sourit tout le temps
Génial. Clark Kent. Le mec idéal version patriarcale.
“Et toi quand t’auras 30 ans tu porteras quoi comme costume?
Le même? Avec le slip et les collants moulants?”
Il a rigolé: ah non…
Et c’est là que c’est devenu intéressant:
“Quand il sauve pas les gens, il habite en Tunisie
Il a une ferme souterraine avec un taureau, un lion
Et un chien à trois têtes. Il a les mêmes yeux qu’un aigle
Ça c’est bien! Et il a des abeilles aussi, parce-qu’il adore le miel.”
C’est fou ce que c’est long à nettoyer, l’imaginaire
On est peuplés de trucs qui ne nous servent à rien
Qui ont été placés là par d’autres, et parfois c’est si lointain
Qu’on doute qu’autre chose ait pu exister, ou existe encore, ailleurs
Et pourtant il reste des feuilles blanches dans le cahier
Mais comme des enfants pauvres de rêves
Nous continuons de raturer, de gommer et de réécrire par-dessus
Au lieu de simplement arracher la feuille, ou même, chiche: brûler le carnet
Parce-qu’on pourrait tout aussi bien écrire à même les trottoirs
Avec de la craie, voire carrément sur le ciel
Avec nos doigts mouillés de brume
Et alors l’air s’emplirait d’une fragrance nouvelle
Et l’atmosphère n’aurait plus la silhouette des enclumes
Va savoir…
Après avoir appelé Youssef, j’ai appelé Adisa
D’elle-même, elle a proposé de me lire un album
“L’amour à contre-courant”.
Une histoire de chômeur qui, en tapant la manche, tombe amoureux d’une belle dame qui s’ennuie
“C’est quoi comme mots : F…E…M…M…E? Y…E…U…X? N…O…S?”
C’est femme
C’est yeux
C’est nos
Et comme ça, lettre après lettre, on se construit des paradis
Et ainsi, mot après mot, on réinvente nos idées hautes, on les porte
Et c’est pourquoi, toi après moi, tu devras prendre le flambeau
Faire de la ville un parloir à ciel ouvert
Déverrouiller la parole
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