lapeauaimante

J’arrive

Ne me pressez pas, ça ne ferait que précipiter mon retard

J’arrive vous dis-je

En réalité, je suis déjà là

C’est vous qui ne regardez pas

Vous ne voyez que les heures qui défilent

Le réveil préprogrammé depuis la veille

Vous attendez impatiemment la pause déjeuner, le soir, le week-end, les prochaines vacances, l’été la fin du temps compté

C’est la mécanique de découpage arithmétique des journées qui nous sépare

Trop de points et de tirets dans votre répertoire, de peut-être, de toujours, de jamais

C’est le calcul mathématique des “je dois” et “tu es” qui me fait reculer

À mieux y regarder, c’est plutôt moi qui vous devance

Moi, je suis droite sur mes pieds

Ce qu’il faut de fléchie pour mieux sentir la terre et tout ce qui l’habite

Je suis au centre et mon orbite est claire. Je sais où je vais

Je m’y dirige à l’allure qui convient pour une humaine

Je ne viens pas. Je suis déjà arrivée

À chaque pas et jusque dans le tréfonds de toute éternité je suis là

Vous, vous courez

Je vois bien que vous freinez mais rien à faire

il y a un chronomètre affolé qui s’agite

un tic tac infernal qui s’évertue sans cesse à vouloir dépasser

qui du ciel, qui de l’autre, qui de l’âge, qui d’un quelconque objectif que vous vous êtes fait un devoir d’atteindre

Sans arrêt. En perpétuelle compétition avec toi-même

T’es pas fatiguée, dis?

T’en as pas marre de courir autour de la planète sans jamais atterrir pour de vrai?

T’as la trouille ou quoi?

Si tu t’arrêtes qu’est-ce qui se passera?

Si tu m’attends?

Qu’est-ce qui t’empêches de me rejoindre au fond?

Tu penses que c’est plus facile de passer toute une vie à côté de soi-même?

Ça évite de percevoir, de trop sentir, c’est ça?

Pourtant moi je suis là et j’enregistre

J’enregistre tout

Toi et moi, nous marchons en canon, et ce n’est pas si grave

Je suis là

Présente. En retrait. À côté. Tout autour

Tends ta main. Tu sens?

D’ici le temps n’existe pas

Pas de montre à ton poignet

Rien à faire

Rien à prouver

De là où je me trouve, on se glisse au milieu des secondes, on ne s’accroche pas

Je t’attends. Je suis là