2022
Aug 
30

Dans l’arène

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  • — lapeauaimante @ 17:49  

    Quand il pleut à Marseille, mieux vaut être à l’abri. La ville ferme ses portes derrière un rideau gris. Autowash général sur le bitume et les arbres, sur le mobilier que l’on appelle urbain.

    Michel a trouvé refuge dans le parc de la rue Lozias, parce que justement, là-bas, le mobilier urbain est plat. C’est plus facile pour dormir.

    Ça doit être le destin, la chance, ou Dieu si ça se trouve (pourquoi pas), qui l’a mené jusque là, une flasque de whisky dans chaque poche (quatre, si on compte celles du jean). C’est un coup de chance, ça oui, parce que Dieu sait pourquoi (encore lui) il y a une bâche au-dessus de la table et des bancs. Ça fait trois heures qu’il se biture gentiment la gueule, au sec, et ce qu’il s’est enfilé, c’est rien comparé aux litres de flotte qui tombent du ciel. Des torrents, un déluge. Et la bâche bleue qui protège l’espace pique nique du parc se creuse peu à peu. Une grande flaque, une mini piscine qui menace d’exploser au-dessus de sa tête. Mais Michel s’en fout. Il chante à tue-tête les tubes qui passent sur sa petite radio à piles. Ça lui rappelle sa jeunesse.

    Il est 21h32. Antonin aimerait bien se mater tranquillement le dernier épisode des Peaky Blinders. La pluie, c’est un bon décor pour les gangsters d’Irlande. Mais y’a un gars qui braille, dehors, et impossible de l’ignorer. Céline Dion, Patricia Kaas, la compagnie créole, tout y passe. Le gars est branché sur Nostalgie et il s’en donne à cœur joie.

    La musique des années quatre vingt, immanquablement, ça lui rappelle les fêtes de famille à Antonin. La mamie qui se décide à faire quelques pas de valse pour se dérouiller, l’oncle raciste et libidineux qui se lance dans des tirades scabreuses sur les députées femmes qui font bien mieux le méange que les hommes. Ça ne lui manque pas.

    Par ennui plus que par curiosité, Antonin sort sur son balcon pour observer l’énergumène à la voix Jack Daniels. Quelques notes de guitares familières s’élèvent, et traversent les trombes d’eau. La Corrida résonne au milieu du parc. Michel chante Cabrel et se lance dans un combat de toréador foireux avec le vélo à roulettes qui traîne là. Est-ce que ce monde est sérieux? Il a ramassé une branche et s’apprête à lui faire sauter la sonnette. Je vais pas trembler devant ce pantin, ce minus! C’est quand même pas une bicyclette de gosse qui va avoir le dessus sur lui, non! Est-ce que ce monde est sérieux?

    N’empêche, ça drache encore, et la bâche lâche.

    Ça lui cloue le bec au gars. Pour un temps au moins.

    Va savoir si c’est le destin, la chance ou Dieu, mais la radio diffuse, pile à ce moment-là, Dans le port d’Amsterdam.

    Antonin repense aux fêtes de famille et à son grand-père qui montait sur la table pour crier son amour de Brel, de la bière et des femmes. Il se dit qu’il aimerait bien que quelqu’un s’occupe de lui s’il se noyait dans l’alcool, trempé jusqu’à la moelle.

    Il attrape une serviette et rejoint l’arène. Ce soir, un gangster irlandais-andalou dormira dans son salon.

     

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