2022
Aug 
30

La horde du contre mouvement

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  • Danse
  • — lapeauaimante @ 17:33  

    Nous avons fui le grand vacarme
    Nous avons pris place à bord de nos corps
    Pour nous extirper de la masse agitée qui secoue le dehors
    Nous avons décidé d’habiter nos muscles et nos entrailles
    L’organisme
    Voilà notre nation
    Nos hymnes empruntent leurs rythmes
    Aux gargouillis des tripes et au souffle qui s’intensifie
    Les rires qui fusent sont notre mélodie
    La gravité est notre loi

    Nous connaissons le prix d’un corps qui jouit de sa pleine puissance
    Le genou qui claudique
    L’axe qui bégaye
    La cheville qui vacille
    L’orteil qui s’oppose
    L’épaule qui se braque
    Le bassin qui se grippe
    Ces blessures nous accompagnent
    Le corps en miettes, c’est juste un rappel de nos limites
    Pour autant
    De tous temps la Vie nous a invités à les braver
    L’humain s’invente des aventures pour continuer de se dépasser

    Ainsi, hors des sentiers battus
    Petit à petit
    Nous avançons
    Partout, là où la brèche est possible
    Nous déplaçons l’impensable
    Millimètre par millimètre
    Nous avançons nos pions

    Frôler la frange légale
    Pour s’affranchir d’un idéal imaginé par d’autres
    Avoir les coudées franches pour raffermir nos idées hautes
    Faire de l’interstice un pays assez vaste
    Pour contenir toute la diversité de la planète:

    L’Everest Les animistes Les racistes
    Les contacteurs en pyjamas Les vegan
    Le palais idéal du facteur cheval
    Les chutes d’Iguazu et du Niagara Les tangueras à paillettes
    La voisine du troisième étage Colette Les folkeux à fleufleurs
    Les chasseurs et les constellations Ta belle-mère
    Et le pont du Gard

    Faire de la frontière un espace étirable pour se placer à plein
    Tenir la ligne assez fermement pour qu’elle ne puisse pas se déliter
    Avec suffisamment de souplesse pour que personne ne se sente prisonnier

    Perdre nos repères pas encore ancestraux
    S’autoriser à s’autonomiser
    Garder le strict nécessaire:
    L’eau, la nourriture, la lumière
    Le toucher

    Se
    Toucher
    Se
    Laisser toucher

    Si ma pupille appuie sur la paupière de l’autre, est-ce que ça se voit?
    Si mon dos trouve un hôte pour la seconde qui suit
    Est-ce que ça pourrait durer toute une partie de la vie?

    Raconte moi une histoire
    Avec ton corps cosmique, avec ton corps terrestre
    Avec ton corps cassé, avec ton corps debout
    Avec les vertèbres de ta colonne et les alvéoles de tes poumons
    Redis moi sans les mots
    Le chaos qui côtoie l’ordre de tes gestes
    Confesse moi par la peau
    Comment tu ranges la chambre de ton bazar mental
    En accord avec le reste de tes colocs organes
    Dis moi dans un suspens comment tu procèdes
    Pour organiser le passage d’un âge à l’autre
    Comment tu navigues dans le monde intermédiaire
    Entre la réalité de tes rêves
    Et ta vie imaginaire

    Raconte moi en corps une histoire s’il te plaît
    Ouvre la mâchoire. Quand tu fermes la bouche, ça reste coincé dedans
    J’ai envie de voir dans le noir avec toi
    Le sol sera notre boussole
    Les sens notre moteur et notre gouvernail
    Viens, on va faire un tour du côté des portails invisibles
    On chevauchera les steppes à dos de poisson volant
    Une bête à deux dos, une vague à huit pattes
    On sera l’océan
    Nos corps créeront des spirales qui engloutissent les volumes
    Et les grands vents qui viennent s’uniront à notre tourbillon
    On balaiera les structures qui sclérosent nos désirs
    On réinventera un calendrier pour travailler avec plaisir!
    Seul le sang qui bat dans nos tempes nous indiquera l’heure
    C’est la meute qui montre le sens des aiguilles de l’Histoire
    C’est nous qui décidons de la suite
    Et puisque nous sommes toustes embarquées dans la même galère
    Alors autant plonger
    Plutôt que d’écoper à la petite cuillère
    Pour tenter de sauver le bateau qui prend l’eau de toutes parts
    Autant devenir éponges transfuges transmetteuses de savoirs articulables
    é p o n g e s t r a n s f u g e s t r a n s m e t t e u s e s d e s a v o i r s
    a r t i c u l a b l e s
    Autant continuer de se contaminer par des gestes passages
    Quitte à choper la co-vibe, autant construire des passerelles pour le métissage

    Alors nos noms ne seront plus nos noms
    Certains mots s’oublieront au profit du silence
    Les visages des vieillards seront nos monuments à la gloire des vivants
    Et les images de notre enfance, instantanés pris au vol,
    Seront punaisées au mur de notre instinct présent
    Nous anéantirons la nécessité du rang
    L’indocilité redeviendra la norme pour soutenir notre élan vital
    Jusqu’à ce que l’orchestre fasse silence
    Jusqu’à ce que la dernière note résonne
    Nous tapons du pied
    Pour résister à l’arrêt, à la sidération
    Nous fabriquons notre propre musique

    Peut-être qu’on peut danser avec encore plus différent de nous
    Sortir du cocon, blanc et confortable
    Convoquer dans nos archipels les cohortes qui chutent
    Prendre pour capitaines
    Des pirates altiers
    Et pour seul bagage
    Notre altérité

    Laisser l’air et le temps faire leur travail
    D’altération des habitudes
    Avoir confiance dans le fait que
    L’entropie est salutaire quelque part
    Et qu’à un moment donné
    Les loups solitaires sortent des sentiers battus
    Et prennent les devants

    Nous sommes cette horde en mouvement
    La horde du contre mouvement

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