J+5 – Retour au bitume
Retour au bitume.
J’aurais sans doute fini par connaître les couleurs des murs de l’immeuble d’en face
Et repeint ma chambre cent fois pour ne plus avoir à en supporter les teintes
J’aurais sans doute passé de longues heures assise ou allongée sur ce semblant de canapé
J’aurais voulu gueuler dehors, et puis j’aurais eu peur des voisins d’à côté
J’ai scruté les murs en guettant les nouveaux tags mais rien de neuf dans les caniveaux
Juste le teint blafard des masques posés sur la bouche et le nez des gens
Les voisins causent de la marjolaine et de l’estragon planté dans la cour commune
De la ferronnerie d’à côté et des sculptures en forme de pieds qu’ils n’avaient jamais vu avant
C’est samedi, jour de deuil jaune, jour d’incendie national
La rue est calme, je réapprivoise mon nid
Cocon quitté au début du printemps
Je dois y remettre ma voix, mes couleurs, et la pulse des rêves
C’est sûr, j’étais bien mieux dans tes bras
À observer les passereaux statiques sur les tuteurs en bois
C’est sûr j’étais bien mieux au coin du feu
À m’ébouillanter le cerveau avec des envies de faire
À retourner la terre, à retirer chaque caillou, à mettre de côté des pierres
C’est sûr j’ai de la chance, d’avoir touché la glaise et la peau des chevaux
D’avoir bu trop de vin, d’avoir chanté tout haut,
D’avoir pu me blottir dans tes draps, bien au chaud
C’est sûr j’aurais pu dépérir
Bien sûr j’aurais trouvé des stratégies pour contourner le manque, pour abonder ma vie
Mais ton rire et tes yeux, et ta douceur patiente, furent un baume pour le corps et l’esprit
C’est sûr ici j’aurais pu danser seule, et me refabriquer une identité nouvelle
Mais ne suis-je pas tout aussi neuve et certainement moins lasse
D’avoir partagé mes silences, mes doutes et mes orgueils?
Plus vive et mille fois plus belle d’avoir dépassé mes écueils
D’avoir servi le vent et alimenté la merveille
C’est le temps que l’on passe à essayer d’aimer qui abreuve l’envie
L’envie de continuer
Alors de guerre lasse, je ramasse tout le gris qui encombre l’espace
Et j’étale sur les murs un peu de peinture fraîche
Je me retrousse les manches et j’applique à la ville
Tout ce que j’ai appris. Avec humour, et un peu de folie
Je barbouille l’horizon, je nous refais une beauté
Mystérieuse et non conventionnée
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