2020
May 
13

J50 – La d’ailleurs

Filed under: Confinée dehors,Journal Débordé — Tags: , — fabuleta @ 19:04  

Aujourd’hui j’ai rendu visite à la petite fille

Assise comme une nounouille sur le banc de la maternelle

Elle est arrivée après la sieste de l’après-midi

Dans un nuage moumou et grognon

Ça arrive parfois

Des fantômes de moi-même resurgissent

Et se glissent à nouveau dans ma peau

Et ça me fait un costume trop grand, ça flotte, ça pend

Ça fait comme un grand vide entre l’adulte et l’enfant

La d’aujourd’hui ne comprend pas ce qui lui arrive

Pourquoi tout à coup, les ombres derrière la porte lui font peur

Et quand des avions de chasse passent tout près dans le ciel

Juste au-dessus d’elle

La devenue croit qu’elle s’est perdue dans les boucles temporelles

Quand j’avais cinq ans, j’avais peur de la guerre

Mes parents avaient un magasin et les clients avaient dévalisés

Les rayons de sucre, de farine et de lait

À la télé, il y avait des bombes qui crachaient du feu, des gens qui criaient

Plus tard j’ai compris que les trous dans le palais de justice de Rouen

Ça avait été de vraies balles, et ça faisait pas si longtemps

C’était là, partout, tout le temps

Ça l’est encore. Ailleurs. À l’est, au nord, au sud le plus souvent

Ici on fait semblant de rien, on fait comme si, on prétend

Mais la petite fille mise à demeure dans mon corps

Elle ressent

Elle se réfugie dans les nuages et dans le vent

Elle écoute les oiseaux, elle caresse les chevaux

Elle attend

Qu’on vienne la chercher

Que les grands cessent de se disputer

Et la qui a un cœur qui ressemble à celui des mamans lui dit:

Le vacarme n’est pas prêt de s’arrêter

Mais moi, je vais te protéger

Je fais ce qu’il faut, je suis là

Je plonge les mains dans la terre et je lui dis

Tu vois ça, il y a quelques années, c’était du caca

Des épluchures, des feuilles mortes, des coquilles d’œufs et de noix

Et maintenant, sens, approche ton nez, t’inquiète pas

Ça sent bon hein? Et en plus

C’est là-dessus qu’on va pouvoir cultiver ce que plus tard on va manger

La magie c’est d’avoir assez de patience et de confiance dans la vie

Pour voir le pourri se transformer en trésor

On est reparties toutes les deux

Un pot de compost dans la main

Et des graines de piments rouge feu

À planter pour les jours d’après demain

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